Un roi bâtisseur à Paris : et la Cité devint Capitale !

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Article de Denis Hayot, historien de l’architecture


Alors que s’ouvre le « beau XIIIe siècle », Paris connaît peut-être le moment le plus déterminant de son histoire : sous le règne de Philippe Auguste (1180-1223), la cité qui n’était encore qu’une ville parmi d’autres, marquée par la fragmentation des pouvoirs (le roi, l’évêque, les grandes abbayes…), est érigée au rang de véritable capitale du royaume. Ce tournant majeur passe par la mise en place d’un embryon d’administration centrale, mais aussi par la réalisation d’un extraordinaire programme architectural, capable de donner toute sa cohérence à une ville jusqu’ici fondamentalement hétérogène, et de traduire dans la pierre la nouvelle autorité royale.

Quatrième plan de la Ville de Paris, sous le règne de Philippe Auguste par Nicolas Fer, Antoine Coquart et Nicolas La Mare, 1705, extrait de l’atlas Plan de la Ville de Paris © Wikimedia Commons

Une enceinte hors norme

Le grand-œuvre de Philippe Auguste à Paris consiste en la création d’une immense enceinte fortifiée, englobant la rive droite comme la rive gauche et s’étirant sur plus de cinq kilomètres de développement, ce qui en faisait l’une des plus vastes du royaume au moment de sa construction. 

Malgré une apparence unitaire, cette enceinte a été élevée en deux étapes bien distinctes. Établie autour du cœur économique et démographique de la ville, l’enceinte de la rive droite a été lancée dès 1190, au moment du départ de Philippe Auguste pour la croisade, ce dernier laissant le soin – et surtout la charge financière ! – aux bourgeois de Paris de conduire la construction. Sur la rive gauche en revanche, où l’habitat est beaucoup moins dense autour des grandes abbayes et de leurs écoles, il faut patienter jusqu’aux années 1205 pour que Philippe Auguste décide la construction – cette fois financée uniquement par le trésor royal – d’une seconde enceinte, en vis-à-vis de la première.

Lorsque s’achève le chantier de la rive gauche, vers 1211, les deux enceintes forment un ensemble unitaire, interrompu seulement par la Seine. Flanquée de près d’une centaine de tours disposées à intervalle régulier, percée d’une douzaine de portes principales, l’enceinte forme autour de la cité une couronne d’une blancheur éclatante, qui fait de Paris une véritable ville, par opposition à la campagne environnante avec laquelle existe désormais une rupture nette. Surtout, cette enceinte offre à l’agglomération la cohérence dont elle manquait tant jusqu’ici, et favorise son développement homogène à l’abri de ses murs crénelés. Enfin et surtout, elle est l’expression d’un pouvoir royal triomphant et de sa nouvelle autorité sur la ville qui devient alors sa capitale. Car avec cette nouvelle enceinte, Philippe Auguste tient littéralement Paris entre ses murs.

Ancien palais et nouveau château

Au cœur de la ville, alors que l’évêque de Paris poursuit la construction d’une immense cathédrale, Philippe Auguste ne pouvait rester en retrait. À l’autre extrémité de l’île de la Cité, le vieux palais des rois est agrandi et embelli. Et si la Sainte-Chapelle de Saint Louis n’existe pas encore, une puissante tour-maîtresse cylindrique, symbole du pouvoir royal, est érigée en plein cœur du palais. Pour faire bonne mesure, le souverain fait également renforcer le Grand Châtelet et reconstruire le Petit Châtelet, deux édifices liés au pouvoir judiciaire du roi et commandant les deux principaux ponts donnant accès à l’île de la Cité.

Mais c’est en bordure de la ville qu’il faut chercher le chef-d’œuvre de Philippe Auguste… En léger retrait des berges de la Seine, le souverain donne naissance à une forteresse flambant neuve : le château du Louvre. L’édifice est construit sans doute à la veille de l’an 1200, alors qu’on craignait une offensive de Richard Cœur de Lion sur l’Ile-de-France royale. Véritable prototype des forteresses « géométriques » du XIIIe siècle, le Louvre prend la forme d’une enceinte presque carrée, flanquée de tours cylindriques à archères. La puissante tour-maîtresse qui s’élève au centre a vocation à constituer une « chambre de sécurité » pour le roi, doublée d’un véritable coffre-fort pour le trésor royal. Enfin, cette forteresse implantée sur le tracé de l’enceinte urbaine est aussi un outil essentiel pour le contrôle de Paris, car avec ses deux portes ouvrant sur la ville et la campagne, elle fonctionne comme un véritable verrou au service du roi.

De premiers travaux d’intérêt public

Parallèlement à cette œuvre monumentale, Philippe Auguste fait bénéficier Paris de premiers travaux d’intérêt public – chose remarquable à une époque où les souverains ne s’en soucient que fort peu. Dès les années 1180, le roi avait fait clore de murs le cimetière des Innocents, jusqu’ici insalubre et mal famé. Il avait aussi fait construire, pour abriter le marché de Champeaux, les toutes premières halles, qui devaient constituer le cœur nourricier de Paris durant des siècles. Dans le même quartier, on lui attribue également la création de l’une des toutes premières fontaines publiques parisiennes.

Surtout, Philippe Auguste a donné le coup d’envoi au pavement des rues principales de la ville. Un immense progrès pour la circulation, l’hygiène et le confort des habitants, car les chaussées – étroites et tortueuses – étaient jusqu’ici encombrées de boues nauséabondes, dont l’odeur incommodante aurait décidé le roi à agir… Enfin, la couronne est aussi à l’origine d’opérations de lotissement de terrains, notamment sur la rive gauche, qui vont contribuer à densifier le tissu urbain et favoriser le développement démographique qui devait faire de Paris la première ville d’Europe à la fin du XIIIe siècle. 

Des vestiges ténus mais un héritage immense

De cette œuvre immense réalisée par Philippe Auguste à Paris, il ne reste plus que vestiges épars et souvent peu évocateurs. Les plus célèbres aujourd’hui sont sans nul doute les fondements du château du Louvre, redécouverts en 1984-1985 et désormais intégrés au parcours de visite du musée. Beaucoup plus méconnue est la base de la tour-maîtresse du palais de la Cité, conservée dans les sous-sols de l’actuel palais de Justice. De la grande enceinte urbaine enfin, il reste des vestiges ténus et dispersés sur presque tout son tracé, mais les seuls tronçons bien conservés en élévation se trouvent le long du lycée Charlemagne sur la rive droite, et rue Clovis sur la rive gauche, où le mur apparaît en coupe.

Pourtant, l’essentiel est ailleurs ; car en faisant de Paris la capitale d’un embryon d’État centralisé, Philippe Auguste a jeté les bases d’une organisation qui régit encore notre pays aujourd’hui. Quant à l’enceinte fortifiée qu’il a bâtie autour de la ville, elle a donné à Paris sa forme définitive, celle qu’on lui connaît encore de nos jours en dépit des agrandissements successifs, et à ceci près que la noire ceinture de bitume du boulevard périphérique a remplacé la belle enceinte de pierre blanche…

À lire :

Denis Hayot, Paris en 1200. Histoire et archéologie d’une capitale fortifiée par Philippe Auguste, CNRS Éditions, 2018

Crédits Images

Illustration de l’article : Saint Éloi sauve de l’incendie l’église Saint-Martial, dans l’Île de la Cité. Anonyme, Milieu du XIIIe siècle © Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris

 

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