Un prince dreyfusard, pacifiste et francophile

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Textes réunis et composés par Thomas Blanchy, adjoint au directeur des Archives du Palais princier, Thomas Fouilleron, docteur en histoire et vice-président du Comité Albert Ier, et Stéphane Lamotte, docteur en histoire et secrétaire du Comité Albert Ier


Albert Honoré Charles Grimaldi, né à Paris le 13 novembre 1848, l’année du printemps des peuples et de l’élection du premier président de la République française, est connu pour ses nombreux voyages à la découverte du monde, orientant ses recherches vers une discipline neuve : l’océanographie. Cela lui vaut les surnoms de « prince savant » ou de « prince navigateur ».

Albert Ier et la France

Issu de plusieurs grandes familles aristocratiques françaises alliées aux Grimaldi depuis le XVIIe siècle, Albert Ier est « élevé dans le culte » de la France. Considérant son pays de naissance comme sa « seconde patrie », et le « champion des causes généreuses », le prince étudie à Paris au collège Stanislas puis au petit séminaire de La Chapelle-Saint-Mesmin ; il commence son apprentissage maritime à Lorient et le poursuit dans la marine espagnole qu’il quitte comme lieutenant de vaisseau en 1868. Autorisé à servir dans la marine française en 1869, il se met à la disposition de l’Empereur lors de la guerre de 1870. Il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1872.

À partir des années 1880, le prince fréquente à Paris le salon de Flore Singer. Le 1er juin 1885, il assiste aux funérailles nationales de Victor Hugo à Paris. La cérémonie l’impressionne. Admiratif, il en rend compte le lendemain dans une lettre adressée à son père : « Jamais, on peut l’affirmer, un pareil concours de monde ne s’était réuni et si l’on pense qu’il s’agissait là, non du triomphe d’un conquérant mais de glorifier une des plus belles manifestations de l’intelligence, […]  Car il faut en convenir, cet immense concours n’avait pas seulement pour but d’honorer un grand homme, il entendait surtout proclamer la suprématie de l’intelligence et la liberté de la pensée […] » (Lettre à Charles III, Paris, 2 juin 1885). Il est proche également de la comtesse Greffulhe qui intervient dans la création de l’Institut océanographique et avec qui il entretient une abondante correspondance à dominante musicale. Ami de Massenet et de Saint-Saëns, le prince accueille leurs créations à Monte-Carlo. Plus que sa seconde épouse, Alice Heine, catholique aux origines juives qui a alors pris ses distances avec le prince, c’est son exigence de justice qui le pousse à militer pour Dreyfus dès la fin de l’année 1897. Lors de deux visites à l’Élysée au début de l’année 1898, il aborde la question avec Félix Faure et essaie de le convaincre – en vain – de l’innocence du capitaine. Il fait finalement publier par Le Figaro, le 3 juillet 1899, une lettre à Lucie Dreyfus. L’Affaire nourrit une importante correspondance, notamment avec Joseph Reinach. Le prince vient en aide à des dreyfusards en difficulté, comme le moderniste abbé Pichot, nommé à la paroisse Sainte-Dévote à Monaco en 1900, ou le commandant Forzinetti qui se voit confier plusieurs responsabilités en Principauté à partir de 1899.

Un militant de la paix

Le dreyfusisme du prince, sa familiarité avec Guillaume II comme avec nombre de personnalités politiques françaises républicaines, en font une cible durable de la presse nationaliste française. Durant la Première Guerre mondiale, Léon Daudet mène une campagne opiniâtre dans l’Action française, accusant Monaco d’être un centre d’espionnage allemand. Lors de la pose de la « première pierre » du Musée océanographique en 1899 comme lors de son inauguration en 1910, Albert Ier caresse l’espoir d’une rencontre entre Guillaume II et le président de la République française. Pacifiste militant, le prince s’efforce sans relâche de rapprocher la France et l’Allemagne, notamment lors des crises marocaines. Il accueille en 1902 le XIe congrès de la Paix, dans le Musée océanographique encore en construction, et crée à Monaco, l’année suivante, un Institut international de la Paix, dirigé par Gaston Moch et transféré en 1912 à Paris. Dans le domaine social, le prince croit aux vertus de la mutualité : il participe aux travaux mutualistes à partir de 1907 et du Musée social à partir de 1911. Faisant au président de la République, en juillet 1914, le bilan de ses seize années de visite à Kiel, il regrette « l’abstention de la France » au rendez-vous diplomatique et mondain annuel des régates, « ces intimités fécondes, souvent capables de conjurer un mécompte, une surprise ou une méprise ».

La Principauté est officiellement neutre lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale, mais, affligé par l’attitude du Kaiser, le prince Albert Ier ne tarde pas à prendre position en faveur des Alliés. Le 10 août, il assure le président de la République des « sentiments [qu’il] partage avec la France ». Il accueille des blessés à Monaco et met à la disposition du gouvernement français ses institutions parisiennes. Après le bombardement de la cathédrale de Reims, « aussi consterné que le meilleur des Français », il envoie à Raymond Poincaré un télégramme de solidarité qui dénonce « une provocation au monde entier ». L’armée allemande occupe le domaine familial de Marchais et exige un tribut sous peine de détruire le château. Cette situation balaie la sympathie d’avant-guerre pour l’Allemagne et son souverain et nourrit un ressentiment germanophobe qui trouve un exutoire dans la publication d’une lettre ouverte à Guillaume II, La guerre allemande et la conscience universelle, en décembre 1918. Un nouveau traité franco-monégasque, qui renforce l’influence française à Monaco, est signé le 17 juillet 1918. Raymond Poincaré assiste, le 16 mai 1919 à la cérémonie d’adoption de la princesse Charlotte, fille naturelle de son fils Louis, qui devient dynaste. Le prince fonde de grands espoirs dans la mise en place de la Société des nations, mais est déçu par l’attitude de la France qui ne permet pas l’admission de Monaco. Les dernières années de la vie du prince sont marquées par plusieurs séjours dans les Pyrénées, motivés par le goût de l’excursion et du contact avec la nature. Ils sont avant tout l’occasion d’un ressourcement, d’un retour à soi, d’une recherche de paix intérieure pour un homme qui a essayé jusqu’au bout de proposer sa médiation, de tenter un arbitrage entre la France et l’Allemagne pour éviter le destructeur conflit mondial. Malade, il est transféré de Font-Romeu à Paris. Soigné à la clinique Georges-Bizet, il meurt dans la capitale le 26 juin 1922.

Texte abrégé et adapté de Jacqueline Carpine-Lancre et Thomas Fouilleron, « Albert Ier, prince de Monaco », in Dictionnaire des étrangers et des immigrés qui ont fait la France (de 1789 à nos jours), Pascal ORY (dir.), Paris, Éd. Robert Laffont, 2013

À lire :

LAMOTTE, Stéphane, Les mondes d’un prince. Albert Ier de Monaco et son temps (1848-1922), Paris, La Martinière, 2022, 160 p..

ALBERT Ier, prince de Monaco, La carrière d’un navigateur, 3e édition illustrée par Louis Tinayre, Monaco, Palais de S.A.S. le Prince, 1913/1914

CARPINE-LANCRE, Jacqueline, FOUILLERON, Thomas, « Albert Ier, prince de Monaco », Dictionnaire des étrangers et des immigrés qui ont fait la France (de 1789 à nos jours), Pascal ORY (dir.), Paris, Éd. Robert Laffont, 2013

THIRAULT, Philippe (auteur), CLOT, Christian (scénariste), SANDRO (dessinateur), Albert Ier de Monaco – le prince explorateur, Paris, Glénat, coll. « Explora », 2018

Crédits photos : 

Illustration de l’article : Albert Ier de Monaco, photographié par Nadar © WikiCommons

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