Un lieu enchanté
RETOUR AU DOSSIERExtrait de Point de lendemain, de Dominique Vivant Denon
Un soir d’opéra, le narrateur, jeune homme naïf, est entraîné chez Mme de T… où il passe une nuit de délices, avant de se rendre compte au matin que Mme de T… a manipulé tout le monde : lui-même, son mari, et son amant officiel. Vivant Denon, auteur de ce conte libertin, aurait prétendu que « sans employer de mots obscènes, on pouvait raconter avec vérité certaines scènes de l’amour heureux ». Jugez-en !
Plus calmes, l’air nous parut plus pur, plus frais. Nous n’avions pas entendu que la rivière, qui baignoit les murs du pavillon, rompoit le silence de la nuit par un murmure doux qui sembloit d’accord avec la tendre palpitation de nos coeurs. L’obscurité étoit trop grande pour laisser distinguer aucun objet ; mais, à travers le crêpe transparent d’une belle nuit d’été, notre imagination faisoit, d’une île qui étoit devant notre pavillon, un lieu enchanté. La rivière nous paroissoit couverte d’Amours qui se jouoient dans les flots. Jamais les forêts de Gnide n’ont été si peuplées d’Amans que nous en peuplions l’autre rive. II n’y avoit pour nous dans la Nature que des couples heureux, et il n’y en avoit point de plus heureux que nous. Nous aurions défié Psyché et l’Amour. J’étois aussi jeune que lui : elle me paroissoit aussi charmante qu’elle. Plus abandonnée, elle me sembla plus ravissante encore. Chaque moment me livroit une beauté. Le flambeau de l’Amour me l’éclairoit par les yeux, de l’âme, et le plus sûr des sens confirmoit mon bonheur. Quand la crainte est bannie, les caresses cherchent les caresses. Elles s’appellent plus tendrement : on ne veut plus qu’une faveur soit ravie. Si l’on diffère, c’est raffinement. Le refus est timide, et n’est qu’un tendre soin. On désire, on ne voudroit pas ; c’est l’hommage qui plaît… le désir flatte… l’âme est exaltée… on adore… on ne cédera point… on a cédé…
Dominique Vivant Denon (notice de A. Poulet-Malassis), Point de lendemain, conte dédié à la reine, Paris, Isidore Liseux, 1876.
À lire sur Gallica :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k205739c/f1.item.texteImage
Crédits images :
Jean-Honoré Fragonard, Les progrès de l’amour : la rencontre, vers 1771-73. Huile sur toile. Dim. (H X L cm) : 317,3 x 243,8. © WikiCommons / The Frick Collection