Traité de Francfort : l’Alsace-Moselle est annexée à l’Empire allemand

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Par Yves Bruley, Maître de conférences h.d.r. à l’École Pratique des Hautes Études, Directeur de France Mémoire


Dans la mémoire nationale, la date du 10 mai renvoie à plusieurs événements historiques de natures très diverses. Nos contemporains ont conservé en mémoire le deuxième tour de l’élection présidentielle de 1981 qui vit François Mitterrand devancer le président Valéry Giscard d’Estaing. Plus récemment, par la loi Taubira du 21 mai 2001, la date du 10 mai est devenue la journée commémorative du souvenir de l’esclavage et de son abolition. Les plus anciens et les historiens n’ont pas oublié que le 10 mai fut le jour de l’offensive allemande en 1940. Mais pendant longtemps, le 10 mai a surtout été le jour anniversaire du funeste traité de Francfort, qui mit fin à la guerre franco-allemande de 1870-1871 et amputa la France de deux territoires : l’Alsace et la partie de la Lorraine correspondant aujourd’hui au département de la Moselle.

Les conséquences du traité de Francfort

Le traité de Francfort venait couronner la politique de Bismarck : achèvement de l’unification de l’Allemagne du nord et du sud sous domination prussienne ; affaiblissement de la France mais aussi du Concert européen ; début d’une période de prépondérance allemande en Europe.

Le traité confirma la perte de l’Alsace-Lorraine, mais la France conservait Belfort, qui avait résisté héroïquement pendant la guerre. Pour obtenir un certain territoire autour de cette ville, Thiers accepta de céder un territoire moins symbolique mais plus riche du côté de Thionville sur la frontière avec le Luxembourg. Les Alsaciens-Lorrains devenant sujets allemands étaient environ 1,6 million. Une « clause d’option » leur fut garantie, qui leur permettait d’opter pour la nationalité française, à condition d’émigrer en France, ce que firent 60 000 d’entre eux. Le traité prévoyait le versement par la France d’une indemnité de guerre de 5 milliards de francs, l’occupation militaire du territoire français par les troupes allemandes devant se réduire et cesser au fur à mesure du versement des échéances. La France, dont l’économie était encore très solide, put verser la somme en deux années seulement.

« Cette paix ne peut qu’être une trêve et elle prépare bien des malheurs pour l’Europe. »

Pour beaucoup, la guerre franco-allemande marquait bien plus qu’une rupture politique, une rupture de civilisation. Cette guerre était différente des précédentes, et elle s’achevait sur un traité qui empêchait le retour à une paix acceptable. Un diplomate français, Hippolyte Desprez, écrit dans ses mémoires :

« Nous avons fait deux grandes guerres avant celle-ci où nous avons, pour notre compte, observé rigoureusement les prescriptions de l’humanité la plus éclairée. En Crimée [guerre de Crimée, 1853-1856] comme en Lombardie [la guerre d’Italie en 1859] nos adversaires obéissaient aux mêmes règles de conduite. On s’était battu et on avait traité sans haine et sans esprit de vengeance. Nous étions encore sous l’impression de ces souvenirs, et nous croyions de bonne foi au progrès du droit des gens. Aussi eut-on d’abord quelque peine à comprendre en France le traitement qui nous était appliqué. Nous avions désappris l’ancien droit. Les Prussiens se chargèrent de nous le rapprendre. Nous étions pillés, incendiés, suivant des méthodes nouvelles, rançonnés, contraints à donner des otages, et si nous réclamions au nom de l’humanité et de l’équité, nous étions raillés et convaincus d’ignorance. »

Pour éviter toute tentation de revanche de la France, Bismarck élabora un système diplomatique visant à isoler la France et à réduire le rôle du Concert européen, la diplomatie multilatérale de l’époque. D’emblée, il estimait impossible le retour à des relations normales entre la France et l’Allemagne. Il avait raison. Napoléon III lui-même, depuis son exil britannique, ne dit pas autre chose : « Cette paix ne peut qu’être une trêve et elle prépare bien des malheurs pour l’Europe. » Les deux ennemis se retrouvaient d’accord.

Dire que la mémoire nationale fut marquée par le traité de Francfort serait un euphémisme. Ce fut un traumatisme profond et la cause d’une réconciliation impossible entre la République française et l’Empire allemand. La reconquête de l’Alsace-Lorraine devint un objectif lointain de la Troisième République puis un but de guerre dans le premier conflit mondial. Les troupes alliées entrèrent dans Strasbourg le 22 novembre 1918 et les territoires alsaciens-lorrains se virent officiellement restitués à la France par le traité de Versailles du 28 juin 1919.

 

À lire :

Jules Valfrey, Histoire du traité de Francfort et de la libération du territoire français, Paris, Amyot, 1874, 2 vol.

Albert Sorel, Histoire diplomatique de la guerre franco-allemande, Paris, Plon, 1875, 2 vol.

François Roth, La guerre de 70, Paris, Fayard, 1990.

P. Milza, L’Année terrible. La Commune, Paris, Fayard, 2009.

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