Signature du traité de Lausanne

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Par Guillaume Frantzwa, conservateur du patrimoine, chef du département des publics aux archives diplomatiques


Il est d’usage de considérer en France que la Première Guerre Mondiale se termine avec le traité de Versailles en 1919. Cette affirmation n’est que partiellement vraie, car le traité de Versailles concerne en réalité surtout l’Allemagne et ses alliés les plus proches en Europe de l’Ouest. À l’Est, la situation est autrement plus confuse, et le traité de Lausanne de 1923 constitue le véritable point final des derniers affrontements.

Fausses paix et nouveaux combats 

Si les Français peuvent avoir le sentiment d’être enfin en paix après la défaite de l’empire allemand, la situation de la Russie, des Balkans et de l’empire ottoman demeure très agitée et les puissances victorieuses croient un temps pouvoir y imposer un nouvel ordre à leur convenance. Sur ce terrain, les Occidentaux vont néanmoins de surprise en surprise, et en ordre parfois dispersé. La Russie, en apparence affaiblie, se révèle impossible à maîtriser et les contingents des Alliés venus chasser les communistes s’y cassent les dents. Les Balkans, vraie poudrière avant 1914 déjà, ne sont en rien stabilisées et entretiennent des rancœurs persistantes. Quant à l’empire ottoman, il semble une proie facile. Il a dû abandonner toutes ses provinces de l’Afrique à la Syrie dès 1918, mais se trouve encore en guerre avec la Grèce et sujet à une concurrence entre le pouvoir légitime du sultan Mehmed VI à Constantinople et un contre-gouvernement monté par Mustafa Kemal à Ankara avec l’appui d’une nouvelle Grande Assemblée nationale qui refuse de se soumettre aux appétits occidentaux exprimés dès 1916 par les Accords Sykes-Picot. Ces accords conclus entre la France et le Royaume-Uni partageaient d’avance le vaste empire ottoman en zones sous tutelle directe des deux puissances coloniales. Dans ce contexte, le traité de Sèvres du 10 août 1920 est ainsi imposé au sultan, démembrant le vaste empire au profit des Alliés et réduisant la Turquie proprement dite à un État croupion en Anatolie, dépouillé de toute armée crédible et de sa flotte. Les provinces orientales de la Turquie sont réparties entre un Kurdistan indépendant, une nouvelle Arménie dont la nécessité s’est imposée après les massacres de 1917 contre les communautés arméniennes, et un mandat franco-anglais au Sud-Est, auquel s’ajoute une zone d’influence italienne recouvrant les rivages méridionaux de l’Anatolie. Constantinople, la vieille capitale impériale, n’échappe que de peu à l’appétit de la Grèce censée récupérer l’ensemble de la Thrace et qui reçoit encore une large enclave en Anatolie autour de Smyrne. 

La reconnaissance française du Mouvement national turc 

L’indignation des Turcs devant ce dépeçage en règle est telle que la population se rallie massivement à Kemal. La Turquie sombre dans la guerre civile, tandis que l’armée kemaliste reprend l’offensive avec succès contre la Grèce, tout en ralentissant considérablement les forces françaises venue prendre possession de la Syrie, où Alep soutient un siège de plusieurs mois. La France, soucieuse de se dégager du bourbier oriental, cherche une paix séparée avec les Turcs, signant avec les représentants de Mustafa Kemal les Accords d’Angora le 20 octobre 1921, qui permettent à la France de se désengager des opérations militaires tout en reconnaissant le gouvernement d’Ankara, mieux assis que celui du sultan désormais et qui gagne des points à l’international en obtenant le soutien de la Russie. Le gouvernement kemaliste, après avoir vaincu la petite armée montée par Constantinople, fait abolir la monarchie le 1er novembre 1922, ce qui rend caduc le traité de Sèvres et impose de renégocier de nouvelles propositions. 

Une victoire ambivalente 

Carte de la Turquie en 1930

Fort de ses succès sur le terrain et de l’assentiment populaire, Mustafa Kemal envoie ses représentants à Lausanne sur l’invitation des Alliés, qui souhaitent en finir avec les dernières affaires brûlantes à l’Est. Les négociations durent plusieurs mois de l’hiver 1922 à l’été 1923, et se soldent par la signature d’une vingtaine de traités et de conventions différentes, toutes signées le même jour, le 24 juillet 1923. Le plus important de cet ensemble de textes est le traité de paix à proprement parler, seul surnommé depuis le « traité de Lausanne ». L’accord définit les contours de la Turquie telle qu’elle existe encore aujourd’hui, et accorde des conditions financières et militaires bien plus favorables qu’auparavant. Ce traité peut passer pour l’acte de naissance de la Turquie moderne, et assoit durablement le prestige et l’autorité du fondateur de la république turque, qui mène tout un train de réforme visant à moderniser et renforcer le pays. Le traité lui-même met fin en revanche aux ambitions d’autres nations ou minorités : le projet de Kurdistan est définitivement abandonné ; l’Arménie est maintenue mais voit son territoire amputé. La Turquie obtient l’abolition de toutes les capitulations commerciales de l’époque ottomane, mais en retour accepte de se mettre au diapason technologique de l’Occident pour ses équipements de transports et de communication, et le principe du libre passage dans les détroits du Bosphore et des Dardanelles est confirmé. Les autres conventions règlent des points saillants ou spécifiques à certains pays, il faut citer notamment l’accord gréco-turc entérinant l’expulsion réciproque des minorités grecques de Turquie et des minorités turques de Grèce, qui toucha environ 2 millions de personnes, sans compter les persécutions avant et après le traité. Pour les Alliés, cet accord de paix, le dernier de la Grande Guerre, sonne comme un échec au plan humain, même si la Turquie a dû bel et bien céder son ancien empire territorial. Le traité de Lausanne demeure pour toutes ces raisons l’enjeu d’une âpre bataille mémorielle entre les pays et les communautés concernés.

Crédits photos : 

Illustration de la page d’accueil : Carte de la Turquie en 1930 © BnF |Gallica 

Illustration du chapô : Lord Curzon, Mussolini et Poincaré, en 1922, après leur entretien à l’hôtel Beau-Rivage où sera signé le traité de Lausanne © Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie | Gallica 

Illustration de l’article : Signatures du traité de Lausanne © Archives diplomatiques

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