Qui était le vrai d’Artagnan ?

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Article d’Odile Bordaz, historienne, docteur en histoire de l’art, conservatrice du patrimoine


La trilogie de Dumas influence si puissamment notre imaginaire que le d’Artagnan historique est devenu indissociable de son double fictif. Mais ce n’est pas un hasard si Courtil de Sandras, puis Alexandre Dumas, trouvèrent en d’Artagnan une source d’inspiration, tant la réalité de cet éminent personnage semble parfois l’emporter sur la fiction.

Charles de Batz de Castelmore comte d’Artagnan, le d’Artagnan de l’Histoire, est un authentique cadet de Gascogne, né à Lupiac, dans l’actuel département du Gers. Par son père, Bertrand de Batz, il est issu d’une famille de la petite noblesse, mais par sa mère, Françoise de Montesquiou, il appartient à l’une des plus illustres familles du royaume, les Montesquiou, seigneurs d’Artagnan, en Bigorre.

Un soldat d’élite au service du roi

Dès 1633, son nom figure dans la compagnie des Mousquetaires du roi, créée en 1622 par Louis XIII. Lors de la suppression de la compagnie en 1646, il passe au service de Mazarin, dont il devient l’un des principaux messagers. Pendant la Fronde, notamment, il va faire la navette entre la cour et les lieux d’exil du cardinal, transportant les courriers codés et chiffrés qu’échangeaient quotidiennement ou presque, le premier ministre et la reine régente, Anne d’Autriche, pendant la minorité de Louis XIV.

En récompense de sa fidélité et de son courage, il reçoit une charge de sous-lieutenant, puis de capitaine au régiment des Gardes françaises et part se battre sur tous les fronts qui opposent alors la France à l’Espagne.

En 1658, un an après le rétablissement de la compagnie des Mousquetaires du roi, d’Artagnan la réintègre en tant que sous-lieutenant, mais en l’absence du capitaine-lieutenant, Philippe Julien Mancini, jeune neveu de Mazarin, qui se désintéresse de sa charge, c’est lui d’Artagnan, qui va dès lors assurer le commandement effectif des Mousquetaires, directement sous les ordres du roi Louis XIV, capitaine en titre.

D’Artagnan au cœur de l’actualité de son temps

Des événements marquants vont jalonner sa carrière et le propulser au devant de l’actualité. En 1660, c’est le mariage du roi à Saint-Jean-de-Luz, précédé par un long voyage à travers les provinces du sud du royaume.

En 1661, après la mort de Mazarin, il est chargé par Louis XIV de l’arrestation du surintendant des finances, Nicolas Fouquet, puis de sa garde pendant quatre ans, du château d’Angers à la citadelle de Pignerol, près de Turin, en passant par le château de Vincennes et la Bastille.

En 1665-1666, il part avec un détachement de la première compagnie des Mousquetaires, celle qu’il commande – il y a désormais deux compagnies – pour une expédition militaire afin de soutenir la République des provinces Unies, alors alliée de la France.

En 1667-1668,  désormais capitaine-lieutenant de la première compagnie des Mousquetaires, il participe à la guerre de Dévolution que Louis XIV a entreprise au nom de son épouse la reine Marie-Thérèse, infante d’Espagne, afin de s’emparer de l’Artois, de la Flandre et de la Franche-Comté, alors sous domination espagnole.

Au cours des deux années suivantes se succèdent la répression violente d’une révolte paysanne dans le Vivarais, puis un second voyage vers la forteresse de Pignerol, pour y conduire le comte de Lauzun, tombé en disgrâces.

Histoire et mythe

En 1672, Louis XIV charge d’Artagnan du gouvernement de Lille en remplacement du maréchal d’Humières, lui aussi tombé en disgrâces. Au cours des six mois qu’il passe dans la capitale des Flandres, d’Artagnan va connaître quelques différends avec les officiers de la citadelle de Lille, placés sous les ordres de Vauban, alors absent car appelé auprès du roi pour la première campagne de la guerre de Hollande et qui refusent de lui obéir. La correspondance qu’il échange avec les ministres raconte dans le détail les difficultés auxquelles il doit faire face, et révèle le caractère vif et entier, voire intraitable, de d’Artagnan, son sens pointilleux de l’honneur, et sa fidélité absolue au roi.

Lors de la seconde campagne de la guerre de Hollande, en 1673, Louis XIV décide de s’emparer de la place forte la plus puissante des Pays-Bas, Maastricht.

C’est lors du siège de cette ville que d’Artagnan, promu maréchal de camp, va tomber à la tête de ses Mousquetaires, frappé par une balle de mousquet, le 25 juin 1673.

« Madame, j’ai perdu d’Artagnan, en qui j’avais la plus totale confiance et qui m’était bon à tout », écrira Louis XIV à son épouse, le soir même de la mort de d’Artagnan.

Désormais, la légende pouvait s’emparer de d’Artagnan.

Sa vie trépidante, toute entière vouée au service du roi, sa mort glorieuse à Maastricht vont inspirer à Courtils de Sandras, les Mémoires de M. d’Artagnan, dont Alexandre Dumas et Auguste Maquet s’inspireront à leur tour pour leur magistrale trilogie. Ce n’est pas un hasard, si dans le Vicomte de Bragelonne, d’Artagnan  meurt au moment même où il vient de recevoir le bâton de maréchal de France.     

« D’Artagnan et la gloire ont le même cercueil » s’était exclamé le poète Juliani de Saint Blaise.

À lire :

Odile Bordaz, D’Artagnan, Capitaine-Lieutenant des Grands Mousquetaires du Roy, réédition 2021, Balzac éditeur

Id., D’Artagnan et les Mousquetaires du Roy 1622-1775, 2018, Balzac éditeur

Id., Sur les chemins de d’Artagnan et des Mousquetaires, réédition 2023, Balzac éditeur

 

Crédits photos : 

Illustration de l’article : Estampe de Jean Veber (1912) © Bibliothèque nationale de France | Gallica 

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