Qui était Gay-Lussac ?

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Par Bernadette Bensaude-Vincent, historienne, professeure à l'université Paris Nanterre

Texte paru en 2000 pour les 150 ans de la mort de Gay-Lussac

Joseph Louis Gay-Lussac est, né à St Léonard, près de Limoges, en 1778, dans une famille aisée quoiqu’un peu tourmentée par la Révolution. Reconnu de son vivant comme un éminent savant, il se distingue cependant moins par sa singularité que par son profil typique, paradigmatique des hommes de science de sa génération.

D’abord son profil de carrière illustre de manière exemplaire la professionnalisation du travail scientifique. Alors qu’à la génération de Lavoisier, la chimie était encore une activité de loisir, pour Gay-Lussac, c’est un métier rémunéré auquel on accède par l’école. Gay-Lussac est l’un des premiers « produits » de l’Ecole polytechnique où il entre en 1897 et où il a la chance de se faire remarquer par un professeur Claude-Louis Berthollet. Il est ainsi introduit comme assistant à Arcueil, où Berthollet et Laplace rassemblent un petit groupe de savants d’élite nommé la Société d’Arcueil. Protégé par Berthollet, Gay-Lussac fait une carrière brillante : en 1806 il est élu membre de la première classe de l’Institut ; en 1808, il obtient la chaire de physique à la Faculté des sciences de Paris, nouvellement créée ; en 1810, il succède à Fourcroy à la chaire de chimie à l’Ecole polytechnique. Même s’il renonce à la Sorbonne lorsqu’il obtient la chaire de chimie générale au Muséum d’histoire naturelle en 1832, Gay-Lussac est l’un des premiers représentants du système français de cumul des fonctions. Il se distingue toutefois des autres chimistes-professeurs du XIXe siècle en ce qu’il n’a pas rédigé un manuel à partir de ses cours.

Il a publié en revanche plus de 150 mémoires ou articles qui montrent d’une part, l’association étroite entre physique et chimie qui s’impose dans le programme d’Arcueil et, d’autre part, l’orientation de la chimie vers l’analyse quantitative. Tandis que Lavoisier avait développé et favorisé les mesures pondérales en consacrant la balance, Gay-Lussac est le champion des mesures de volumes. Il commence ses recherches par des mesures sur la dilatation des gaz par la chaleur et définit un coefficient de dilatation ; puis avec Alexandre von Humboldt, il détermine la composition volumétrique de l’eau et en 1808 il énonce une loi fondamentale de la chimie : les gaz se combinent en proportions simples et l’apparente contraction de volume qu’ils éprouvent au moment de la combinaison est elle-même en relation simple avec le volume d’un des gaz au moins. Le physicien italien Amedeo Avogadro, faisant le lien entre cette loi sur les volumes et une loi analogue de proportions pondérales énoncée par John Dalton formulera en 1811 l’hypothèse que des volumes égaux de gaz contiennent le même nombre de molécules. Mais Gay-Lussac n’est pas très concerné par les spéculations théoriques et d’autant moins enclin à ce genre d’hypothèses que son mentor Berthollet est hostile à l’idée de combinaisons en proportions fixes.

L’allégeance à Berthollet a d’ailleurs privé Gay-Lussac et son collaborateur Louis-Jacques Thenard de la découverte de l’élément chlore. Leur étude de l’acide oxymuriatique les avaient conduits à la conclusion que ce prétendu acide oxygéné – conformément à la théorie de Lavoisier qui fait de l’oxygène le principe acide – était en fait un corps simple. Mais Berthollet les ayant mis en garde, ils concluent prudemment leur mémoire lu à l’Académie le 27 février 1809 en disant que cet acide doit être simple mais que les phénomènes s’expliquent aussi bien si on le considère comme un composé, laissant ainsi à Humphrey Davy la gloire d’avoir identifié le chlore.

Gay-Lussac, il est vrai, n’était pas à court de découvertes : avec Thenard il a isolé le bore, déterminé la composition du cyanogène en volume et en poids ainsi que celle d’une vingtaine de substances végétales. D’où une classification des substances végétales en trois groupes suivant la proportion d’oxygène et d’hydrogène qu’elles contiennent.

Importants pour la chimie pure, les travaux de Gay-Lussac furent déterminants pour la chimie appliquée et on peut dire que Gay Lussac a contribué au succès de ces catégories de science pure et appliquée. En plus de quelques 150 mémoires, Gay-Lussac a publié une centaine d’Instructions pratiques destinées aux entrepreneurs. En répandant l’usage de la burette et de la pipette, il met au point des méthodes simples, et assez fiables, de contrôle des produits par analyse volumétrique. Ces méthodes dites de « titrage » sont spécifiques pour chaque substance. Chlorométrie, alcalimétrie, sulfurométrie…les protocoles de Gay-Lussac se répandent dans les fabriques de soude, de potasse, de verre, etc.

Mais la carrière de Gay-Lussac montre aussi les limites de cette articulation entre chimies pure et appliquée. Certes Gay-Lussac a contribué au rapprochement entre science et industrie grâce à une innovation technique importante qu’il a réalisée en tant que consultant de la manufacture Saint-Gobain, en 1827. Il s’agit d’une tour, nommée « Tour de Gay-Lussac », connectée à la chambre de plomb dans la production d’acide sulfurique pour récupérer les gaz nitreux. Grâce à John Glover ces gaz seront réutilisés pour une nouvelle combustion du soufre, réduisant ainsi la consommation de nitrates et donc le coût de la fabrication. Gay-Lussac est ainsi propulsé au rang de président du conseil d’administration de Saint-Gobain en 1844. Mais la compagnie refuse toujours de lui céder des droits sur les brevets qu’elle exploite entièrement à son profit. En 1847, Gay-Lussac, invoquant des raisons de santé, démissionne. Malgré la fécondité de ses inventions, il n’a pas réussi à créer les conditions d’une alliance entre science et industrie. Il meurt en 1850, comblé d’honneurs et d’argent mais sans élèves, sans école de recherche pour continuer la brillante tradition qu’il a développée.

Source: Commémorations Collection 2000

 

Crédits images : Illustration de l’ouvrage Travailleurs et hommes utiles (auteur inconnu), avec préface de Léon Chauvin, Limoges, Librairie nationale d’Education et de Récréation & imprimerie Eugène Ardant et Cie, 1899 © Wikimedia Commons

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