Publication du Tour du monde en quatre-vingts jours

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Par Christian Robin, professeur émérite de littérature française de l’université de Nantes, vice-chancelier de l’Académie de Bretagne, membre d’Honneur des Lyriades de la langue française.


Lorsque le Tour du monde en 80 jours parut en feuilleton dans le Temps, au titre opportun, du 6 novembre au 22 décembre 1872, Jules Verne put mesurer l’ampleur que prenait sa réputation depuis le succès de Cinq semaines en ballon. Le quotidien lui assurait trois fois plus de lecteurs que le Magasin d’éducation et de récréation. Le titre fut du vivant de l’auteur tiré à plus de 400.000 exemplaires et occupe à sa mort la place éminente de best-seller qu’il n’a jamais abandonnée.

Le pari réussi de M. Verne

Il suscita un engouement immédiat qui se manifesta de deux manières différentes, en ce qui concerne l’intrigue. D’abord, même si elle devait être portée initialement à la scène, avec l’aide de Cadol, Verne ne poursuivit pas sa collaboration et préféra celle de D’Ennery, une fois le roman publié. La première eut lieu au Théâtre de la Porte-Saint Martin, le 7 novembre 1874. Verne atteignit ainsi un second public beaucoup plus nombreux qu’un lectorat qui, certes, n’était pas négligeable, mais restait limité en dépit de l’alphabétisation croissante des français. On a avancé le nombre de 3.600 représentations entre 1874 et 1940 qui firent aussi les beaux jours du Châtelet. Parmi les spectateurs de marque qui assistèrent au spectacle à la fin du XIXe siècle : Proust, Roussel, Cocteau. Des adaptations ont également été applaudies, celle d’Orson Welles en 1946, comme la probante comédie musicale jouée dès 1987 par la Compagnie Fracasse.

Ensuite, le nombre de traductions atteint en 2020 est impressionnant : il est de 73, étant entendu qu’il existe aussi plusieurs traductions dans une même langue. Avec le seul Tour du monde en 80 jours, Jules Verne se trouve classé d’emblée parmi les écrivains les plus traduits dans le monde. Elles contribuèrent dès son vivant à assurer sa renommée : le texte anglais voit le jour à Boston la même année que la parution en volume chez Hetzel.

Une confirmation de la grande renommée acquise par le Tour du monde en 80 jours est à chercher du côté des caricatures :  celle d’André Gill  paraît à la première page de l’Eclipse, le 13 décembre 1874, elle consacre l’écrivain comme dramaturge, tournant le globe dans un petit théâtre.  Alfred Le Petit n’est pas en reste, deux jours plus tard, la galerie charivarique n°262 montre Jules en saltimbanque, qui fait tourner un énorme globe.

Une inépuisable source d’inspiration

 Les emprunts à l’intrigue deviennent vite des sujets d’illustrations. Ce fut le cas de la série des 12 vignettes publicitaires du Chocolat Poulain dont les versos résumaient le roman. Et ils génèrent de nombreux produits dérivés comme les assiettes à dessert, des découpages, des maquettes ou des jeux comme un loto alphabétique, ou le fameux jeu de l’oie circulaire.

Il faudrait tenir compte des nombreuses adaptations qui ont été très tôt effectuées pour le cinéma, pour le disque vinyl, la bande dessinée. Le titre du roman a même désigné un récent trophée de course maritime, dont le trajet n’a absolument rien à voir avec celui de Phileas Fogg, mais renvoie à sa ténacité patiente devenue mythique. 

Verne, avec son roman, généra des vocations, de son vivant, en recevant publiquement la journaliste américaine Nellie Bly le 22 novembre 1888 qui battit le record de Phileas Fogg, puis après sa disparition celle de Cocteau en 1936.

La première partie du titre du roman n’était pas originale, car il était souvent utilisé comme l’était le mot Théâtre au XVIe siècle pour désigner une anthologie, un récit de voyage, etc. Du reste la revue de Charton en avait assuré le prestige dès 1860, et dix ans plus tard, Edmond Planchet avait proposé un Tour du monde en cent-vingt-jours, l’année où le romancier songeait à son roman. Ce dernier eut le don de faire oublier les quelques romans qui le précédèrent, et d’une certaine façon tous ceux, nombreux qui l’imitèrent, à l’exception de l’agréable Cinq sous de Lavarède.

La géographie du Tour du monde

Les 80 jours étaient envisageables alors que se multipliaient les moyens de locomotion, leur complémentarité, et leur vitesse due à la vapeur. Il semble du reste que c’est une publicité lue dans un journal qui ait invité l’écrivain à inventer un périple possible mais périlleux, qui, soit dit en passant, ne franchit pas l’équateur.

« Le jour fantôme »

Ainsi Cocteau désignait-il le gain de 24 heures qui permet à Fogg de triompher. Mais aucune certitude n’existe sur la source qui a engagé l’écrivain à imaginer son génial coup de théâtre. La semaine des trois dimanches de Poe ? Il se peut. Mais il faut avoir à l’esprit que Nantes était une ville peuplée d’officiers de marine, de capitaines au long cours, comme l’oncle Prudent, qui connaissaient le rôle que jouait le méridien central du Pacifique. Au reste l’enseignement de la classe de quatrième que fréquentèrent Jules et Paul Verne, comprenait les problèmes liés à l’étude du globe terrestre, dont celui de « Trouver une semaine à trois jeudis ». Et Edme Mentelle et Conrad Malte-Brun, dès 1803, avaient attiré l’attention sur l’avance de 24 heures que produisait un trajet effectué d’ouest en est.

Affiche de 1886 © BnF | Gallica

À lire :

Roman :

Le Tour du monde en 80 jours, Livre de Poche n°2025.

In  Michel Strogoff et autres romans, Paris, 2017, La Pléiade, Gallimard.

Pièce :

Le Tour du Monde en 80 Jours (théâtre). Disponible sur Wikisource 

Étude :

Le Tour du monde, La Revue des Lettres modernes, n°456-461, 1976,Paris,  Minard.

 

Crédits photos : 

Illustration de la page d’accueil : Atlas Géographique © Archives de l’Académie des sciences d’outre-mer

Illustration du chapô : Portrait de Jules Verne © Agence Rol | Gallica

Illustration de l’article : L’Eclipse/Septième Année/N°320/Dimanche 13 Décembre 1874/M. Jules Verne, par Gill. © Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris

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