Première séance publique de l’Académie française

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Extraits du discours prononcé par Ludovic Halevy, de l’Académie française, dans la séance publique annuelle des cinq Académies du 25 octobre 1888


Le 12 janvier 1673, l’Académie française ouvrait pour la première fois ses portes au public. C’était en une circonstance assez rare. Il y avait trois membres à recevoir et quatre discours à prononcer; Mgr Harlay de Champvallon, archevêque de Paris, alors directeur de l’Académie, devait répondre aux trois récipiendaires, qui étaient Fléchier, Racine, l’abbé Gallois, un savant, un érudit qui donnait à Colbert des leçons de latin, dans son carrosse, entre Paris et Versailles. Les quatre orateurs de la journée furent donc un archevêque, un abbé, un prédicateur (Fléchier n’était pas encore évêque) et un auteur dramatique.

Cette première séance publique eut lieu au Louvre, dans l’ancienne salle du Conseil, qui devait, jusqu’à la Révolution, appartenir à l’Académie française.

[…]

Ce fut sur la proposition de Perrault que le public fut appelé à entendre les discours de réception. Le jour où il prit séance, Perrault fit une harangue qui lui valut de grands compliments. Il dit alors à ses confrères que son discours leur ayant fait plaisir aurait fait plaisir à toute la terre si elle avait pu l’entendre, et qu’il lui semblait qu’il ne serait pas mal à propos que l’Académie ouvrît ses portes aux jours de réception.

[…]

Donc, à partir de 1673, un certain nombre de places furent réservées pour des courtisans, pour des hommes de lettres, mais ce n’est que trente ans après que les femmes furent admises, et d’abord presque à la dérobée, aux séances de l’Académie. Le 4 septembre 1712, une tribune fut réservée aux filles du ministre Chamillard et à leurs amies ; elles avaient forcé la porte, tenant absolument à assister à la prochaine réception, et cela pour pouvoir se moquer tout à leur aise du récipiendaire qui était leur oncle Chamillard, évêque de Senlis.

[…]

Perrault nous apprend que le discours de Fléchier fut écouté avec une extrême satisfaction, mais il ne dit rien des trois autres discours prononcés le même jour, et, dans les registres de l’Académie, une dizaine de pages blanches attendent encore la copie du compliment de Racine. « Le remerciement de mon père, dit Louis Racine, fut fort simple et fort court, et il le prononça d’une voix si basse que M. Colbert qui était venu pour l’entendre n’en entendit rien, et que ses voisins même en entendirent à peine quelques mots. »

Racine a condamné et fait disparaître ce discours. Il était très certainement, alors, beaucoup plus occupé de Mithridate que de sa réception à l’Académie. Nous n’avons pas la date exacte de la première représentation de Mithridate, mais elle n’a pu avoir lieu que le vendredi 6 ou le vendredi 13 janvier 1673. C’était l’heure la plus brillante de la vie de Racine. Entre 1667 et 1673, il avait donné Andromaque, les Plaideurs, Britannicus, Bérénice, Bajazet, Mithridate ! Tout cela dans ce court espace de six années ! Bérénice ! Le vieux Corneille assistait à la séance et devait se souvenir de cette semaine de novembre 1670 qui avait vu les deux premières représentations des deux Bérénice. 

[…]

On ne peut prononcer ces deux grands noms de Corneille et de Racine sans qu’un troisième autre grand nom vous monte aux lèvres tout naturellement, le nom de Molière. Où était-il, Molière ? Que faisait-il, pendant que Racine s’adressait, en lisant son compliment, au directeur de l’Académie, à Mgr Harlay de Champvallon qui devait, le mois suivant, se résigner si difficilement à accorder, sur un ordre du Roi, un peu de terre au cercueil de Molière ? Il était là, tout près du Louvre, Molière, au Palais-Royal, sur son théâtre, répétant avec ses comédiens le Malade imaginaire, et certes, pendant cette répétition, plusieurs fois il a dû se dire : « En ce moment on reçoit Racine à l’Académie, » Sur cette même scène — il n’y avait pas dix ans de cela — c’était lui Molière qui, s’intéressant aux débuts d’un tout jeune homme, avait fait répéter et jouer les deux premières tragédies de Racine : la Thébaïde et Alexandre. Entre ces deux tragédies, Molière avait donné la Princesse d’Élide, le Festin de Pierre et l’Amour médecin. Ah ! si les choses avaient pu continuer ainsi, si les tragédies de Racine avaient pu, sur la scène du Palais-Royal, succéder aux comédies de Molière, quel répertoire et quels succès ! Mais Racine agit mal, abandonna Molière, porta ses pièces à l’hôtel de Bourgogne, et sa fortune grandissait, grandissait toujours, pendant que Molière, attristé, malade, épuisé, était condamné à une vie infernale de travail et d’affaires.

[…]

Deux siècles ont passé sur toutes ces tristesses, sur toutes ces douleurs de Molière. Il a disparu depuis longtemps, ce pauvre petit théâtre qui a vu naître tant et tant de chefs-d’œuvre, mais tout près de là, en ce même Palais-Royal, il est un grand théâtre, le plus ancien et le plus noble du monde, et dans cette maison qui se nomme la Maison de Molière, seront éternellement représentées, éternellement admirées, pour l’honneur de l’esprit français, les œuvres des trois grands poètes, réunis et réconciliés aujourd’hui dans l’immortalité de la gloire et du génie.

 

 

 

Retrouvez l’intégralité du discours de M.Ludovic Halevy sur le site de l’Académie française (La première séance publique de l’Académie française | Académie française (academie-francaise.fr) ou dans la rubrique « Documents ».

 

 

 

 

Crédits photos : 

Illustration de la page d’accueil : La salle des séances d’une académie © Gallica/BnF

Illustration du chapô : Racine, qui est récipiendaire lors de cette séance, par Jean-Baptiste Santerre © Wiki Commons

Illustration de l’article : Les membres de l’Académie française venant offrir au Roi le Dictionnaire de l’Académie, Jean Mariette (graveur), Jean-Baptiste Corneille (dessinateur), 1694 © Wiki Commons

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