Pose de la première pierre de l’église Notre-Dame du Raincy

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Notice rédigée par le service France Mémoire


Le 30 avril 1922, était posée la première pierre de l’église Notre-Dame de la Consolation au Raincy. L’expression est toute symbolique : il n’y a pas une seule pierre dans l’édifice, entièrement bâti en béton armé. Le choix de ce matériau, commandé par un budget extrêmement contraint, permit en outre une grande rapidité d’exécution grâce à l’utilisation d’éléments modulaires préfabriqués et assemblés sur place. L’église sera inaugurée 13 mois plus tard, le 17 juin 1923.

Pose et bénédiction de la 1ère pierre de ND du Raincy, le 30/04/1922
© Paroisse du Raincy

Le béton armé : un matériau réservé aux ouvrages techniques

Inventé dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le béton armé consiste à mouler du mortier de ciment sur des tiges métalliques pour le rendre plus résistant à la tension. Il a fait la fortune de quelques entrepreneurs, dont celle de François Hennebique qui, le premier, avait entrevu toutes les potentialités de ce nouveau matériau et en promut largement l’usage dès la fin du siècle. Mais dans les années 20, le béton armé reste encore largement cantonné aux ouvrages techniques – structures, ponts ou hangars –, et peine à séduire les architectes. Dans les constructions dites « nobles », il s’efforce d’imiter la pierre, ou bien est recouvert de briques ou de stuc pour en dissimuler l’aspect : c’est le choix que fit l’architecte Anatole de Baudot pour l’église Saint-Jean de Montmartre, dont le chantier monumental fut achevé en 1904, ou celui de Théodore Ballu pour la cathédrale d’Oran.

Il fallut donc toute l’audace d’Auguste Perret pour formuler le pari de tirer du béton un parti à la fois technique, économique, et esthétique. Avec ses frères Gustave et Claude, cet architecte est à la tête de l’entreprise de construction fondée par leur père. À trois, ils ont l’avantage d’être à la fois entrepreneurs et architectes : de maîtriser la technique et le dessin. En 1906, le garage de la rue de Ponthieu conçu dans leurs ateliers présente pour la première fois des éléments de béton apparents en façade. Bien que les frères Perret soient athées, quoi de mieux qu’un édifice sacré pour donner définitivement ses lettres de noblesse au béton armé ?

Dans le creuset de la reconstruction

Construction de l’église 1922 – 1923
© SHRPA

La rencontre entre les frères Perret et le chanoine Félix Nègre, curé du Raincy, eut lieu grâce à Victor Nègre, curé de Meudon et frère du premier, dont l’un des paroissiens se trouvait justement être le financier du nouveau théâtre des Champs-Élysées construit par l’entreprise Perret. Félix Nègre rêve pour la population croissante de ses paroissiens d’un édifice suffisamment spacieux, en remplacement de l’ancienne chapelle devenue bien trop modeste. Or, depuis l’abrogation du Concordat par la loi de 1905 sur la Séparation de l’Église et de l’État, le financement des lieux de culte revient entièrement à la charge des fidèles.

Le Raincy a servi de base stratégique pendant la bataille de la Marne. Le père endeuillé d’un soldat mort offre à Félix Nègre la somme de 300 000 francs pour sa future église, à condition qu’elle soit aussi un mémorial pour les victimes de la guerre. C’est une belle somme, mais c’est encore très peu pour une construction classique dont le coût reviendrait à 2 millions. À cette contrainte financière, s’ajoute celle du terrain disponible : une parcelle étroite et en pente, qui n’est même pas orientée vers l’est comme le veut la tradition.

Les frères Perret s’attellent au projet. Ils en financeront d’ailleurs une partie, tant l’enjeu est important. Les vitraux seront créés par le peintre Maurice Denis, auteur des fresques de la coupole du théâtre des Champs-Élysées, et le maître verrier Marguerite Huré. Tous deux font partie des Ateliers d’art sacré, un groupement d’artistes fondé trois ans auparavant pour renouveler l’art chrétien, et fournir aux églises dévastées par la guerre des œuvres à la fois traditionnelles et modernes.

Une simple nef, à l’enveloppe aussi mince qu’une coquille d’œuf

En façade, le clocher de l’église du Raincy s’élève au-dessus du porche central jusqu’à 43 m de hauteur. Il se présente comme un faisceau de colonnes de tailles décroissantes rappelant un peu la silhouette des gratte-ciels de New-York. L’étroitesse de la parcelle ne permettant pas d’élaborer un plan en croix, l’église est conçue comme une simple nef à quatre travées, de 56 mètres de long sur 20 mètres de large. Les fines colonnes nervurées de la nef sont « plantées » dans le sol et soutiennent les voiles de béton de la voûte à la façon des pieds d’une table, libérant ainsi les murs de leur fonction  porteuse. Auguste Perret tire également parti de la pente naturelle du terrain pour créer un effet de perspective et surélève le chœur, sous lequel sont aménagés les locaux nécessaires à la vie paroissiale.

À l’exception des lustres et des verrières, seuls éléments de décoration rapportés, ornements et architecture se confondent. « La grille ininterrompue de claustras » (Véronique David) qui forme les murs de la nef, et où s’enchâsse le camaïeu des vitraux, en est incontestablement la plus belle réussite. Dans leur registre supérieur, s’insère une succession de tableaux associant le sacrifice des soldats de la Marne au martyr du Christ, et à des scènes de la vie de Marie.

Classique par sa forme, l’église du Raincy est révolutionnaire sur le plan technique. Si on rassemblait dans un angle de la nef la matière qui en constitue l’enveloppe, explique Joseph Abrams lors d’une conférence prononcée en novembre 2018, « on verrait que le rapport entre la matière et le vide est quasiment celui d’une coquille d’œuf ». L’église du Raincy fait actuellement l’objet d’une campagne de restauration complète, pour l’achèvement de laquelle la Fondation du patrimoine lance un appel au don.

Plan et coupe de l’église © Paroisse du Raincy

À lire :

LE BAS, Antoine, des sanctuaires hors les murs : églises de la proche banlieue parisienne, 1801-1965, Paris, Éd. du patrimoine, 2002

LE BAS, Antoine, « Notre-Dame du Raincy, chef d’œuvre des chapelles de banlieue ? », Openedition [consulté le 21/04/2022]. URL : Notre-Dame du Raincy (Seine-Saint-Denis), chef-d’œuvre des chapelles de la banlieue ? (openedition.org)

DAVID, véronique, « De l’espoir retrouvé et des vitraux du Raincy : une collaboration d’artistes et de personnalités d’exception », dans Un patrimoine de lumière : 1830-2000 : verrières des Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, sous la direction de Laurence de Finance, Paris, Éd. du patrimoine, 2003

SAINT-MARTIN, Isabelle, Art chrétien / Art sacré. Regards du catholicisme sur l’art (France, XIXe-XXe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Art et société », 2014

RINUY, Paul-Louis (texte), LEMAÎTRE, Pascal (photographies), Patrimoine sacré, XXe-XXI esiècle, Paris, Éd. du patrimoine, 2014

 

Crédits photos :

Illustration de la page d’accueil : Nef de l’Église Notre-Dame du Raincy ©WikiCommons

Illustration du chapô : Le Raincy. Église Notre-Dame ©WikiCommons

Illustration de la notice générale : Agence Rol. Agence photographique. 17/6/23, l’église du Raincy élevée à la mémoire des vainqueurs de l’Ourcq : [photographie de presse] / [Agence Rol]. 1923. ©Gallica

Photographies reproduites avec l’aimable autorisation de la famille des frères Perret.

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