Le festival olympique de Pierre de Coubertin

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Article de Sylvain BOUCHET Historien, spécialiste des Jeux Olympiques, Lauréat du Prix Coubertin pour sa thèse consacrée aux cérémonies olympiques


Festival culturel presqu’autant que sportif, les Jeux Olympiques de 1924 sont une véritable mise en scène de l’esprit olympique, que Pierre de Coubertin, principal organisateur, souhaite ouverte sur l’avenir.  

Pierre de Coubertin (1863-1937), historien et pédagogue, cherche à servir son pays, la France, en lui permettant de rattraper son retard dans l’éducation sportive, et en faisant de sa capitale, Paris, le berceau de l’olympisme réinventé. C’est à l’occasion du Congrès de 1894, organisé à la Sorbonne, que la fondation du Comité International Olympique est actée et que les Jeux Olympiques modernes sont lancés.

Les Jeux de Paris, de 1900 à 1924

Les Jeux de Paris 1900, les seconds de l’ère moderne, sont cependant très éloignés du projet initial de Coubertin, à cause, entre autres, d’une profonde mésentente avec Alfred Picard, commissaire général de l’Exposition Universelle à laquelle l’olympiade est greffée. Pour Coubertin, la déconvenue est totale. Impensable de ne pas donner une seconde chance à Paris. Il veut en être le témoin, quitte à forcer le destin. Après les Jeux d’Anvers 1920, et même si des promesses ont déjà été faites auprès de municipalités comme Lyon, même si des villes comme Los Angeles et Amsterdam signifient leurs souhaits d’organisation, pour 1924, c’est Paris que Coubertin impose aux membres du CIO, dans ce qu’il qualifie lui-même de coup d’État. En contrepartie, il promet de quitter la présidence de l’institution dès les Jeux de Paris terminés (départ effectif en 1925). Cependant la malédiction parisienne de 1900 semble se répéter. Les préparatifs pour 1924 rencontrent de nombreux obstacles. Les tergiversations autour de la construction du stade menacent même la célébration des Jeux. Coubertin est très sévère contre l’administration, qu’il qualifie d’hydre à six têtes. Après moult péripéties, le stade de Colombes, fraîchement construit, accueille les 44 nations participantes pour la cérémonie d’ouverture. Les athlètes sont hébergés dans le premier village olympique de l’histoire (certes, quelque peu rudimentaire), et les compétitions sont animées par les belles performances du nageur Johnny Weissmuller (le futur Tarzan d’Hollywood), et les cinq médailles d’or de Paavo Nurmi. Coubertin peut se réjouir d’une autre nouveauté apportée à ces Jeux : l’organisation d’un prélude à Chamonix (janvier-février 1924) autour des sports d’hiver.

Des Jeux Olympiques artistiques ?

Toutefois, pour Coubertin, la philosophie olympique n’est complète que si les compétitions sportives s’associent à l’art. Ce mariage avait été scellé, en 1906, à l’occasion d’une conférence « Art et Sport » organisée à la Comédie Française. Les concours d’art olympique venaient de naître. Paris a été le cadre de ce mariage cher à Coubertin. Paris ne doit pas décevoir et jamais, en effet, jury olympique ne sera aussi prestigieux qu’en 1924. Pour la section musique : Béla Bartók, Gustave Charpentier, Paul Dukas, Georges Enesco, Manuel de Falla, Gabriel Fauré, Arthur Honegger, Maurice Ravel, Albert Roussel et Igor Stravinsky. En sculpture, peinture, littérature et architecture les expertises de Henri Bouchard, Antoine Bourdelle, Jean Giraudoux, Paul Claudel, Maurice Maeterlinck, Paul Valéry, Tony Garnier sont conviées. Cependant les candidats ne se bousculent pas, et les œuvres restent moyennes. Certains prix ne sont même pas décernés. Les artistes aiment-ils se mesurer, entre eux, comme le font les sportifs ? Probablement pas, et Coubertin commence à comprendre son erreur. Cependant, en marge des concours d’art, Paris voit naître un impressionnant festival culturel au Théâtre des Champs-Élysées.  Ici, pas d’affrontements entre artistes, pas de sujets imposés. Un cycle Beethoven (sans doute le compositeur préféré de Coubertin), du théâtre chinois, Tristan et Iseult… et Le Train Bleu des Ballets Russes qui demeure, avec le recul du temps, l’œuvre emblématique de cette olympiade (même si elle ne fut guère appréciée au moment de sa création). L’argument élaboré par Jean Cocteau revisite la pratique sportive bourgeoise pleine de frivolité. Coco Chanel imagine les costumes. Maillots de bains, tenues de golf et robes de tennis à la mode des années 1920, enveloppent les mouvements des danseurs, dans une chorégraphie de Bronislava Nijinska, sur une musique de Darius Milhaud, et dans un décor d’Henri Laurens, dont le rideau de scène s’inspire d’une peinture de Pablo Picasso. Après la Seconde Guerre mondiale, l’idée du festival olympique, à l’image de celui de Paris, remplacera définitivement les concours d’art.

Mise en scène de l’esprit Olympique

Avant de quitter la présidence du CIO, Pierre de Coubertin joue une dernière fois de son influence pour projeter l’olympisme dans l’avenir. Ainsi, le rituel de la cérémonie de clôture se voit complété de la séquence des trois drapeaux : celui du pays organisateur, celui de la Grèce, et celui du futur pays hôte. De la sorte, l’esprit olympique – perpétuel et universel – est mis en scène. Ce principe était, pour lui, fondamental. Cependant, afin de se rendre plus pédagogue encore, et pour mieux illustrer cet esprit olympique, Coubertin n’hésite pas à user d’une figure de style, prémonitoire :  La puissance de cette flamme allumée, c’est qu’elle brûle tout autour de la terre. Sans doute n’avait-il pas imaginé que le feu deviendrait le symbole absolu de l’olympisme. Car, si en 1924, cette flamme n’est que métaphore dans le discours de Coubertin, elle sera réellement allumée – et pour la première fois – au sommet du stade des Jeux d’Amsterdam, quatre ans plus tard, et à Olympie, en 1936.

 

À lire :

Pierre de Coubertin, Mémoires olympiques, 1931.

Sylvain Bouchet, La mise en scène est de Coubertin, préface Jacques Rogge, Ed. Jacob Duvernet, 2013.

 

 

Crédits photos : 

Illustration de l’article : Pierre de Coubertin © Wikimedia Commons

Illustration de bas de page : Pierre de Coubertin Agence Rol. 1921 © Gallica / BNF

 

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