Péguy est-il nationaliste ?

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Article d'Éric Thiers, Président de l'Amitié Charles Péguy


On peut répondre à cette question de deux manières. D’une part, en faisant un pas de côté en qualifiant Péguy de « patriote », repoussant le terme aujourd’hui péjoratif de « nationaliste », terme qui renvoie à la guerre, l’intolérance, le rejet des autres. De l’autre, en replaçant le mot « nationaliste » dans son contexte, à froid, pour mieux saisir la pensée de Péguy. On tentera ici une synthèse.

Héritier de la Révolution française, Péguy est avant tout attaché à l’idée de nation. Il y voit le cadre naturel de l’expression politique, quelle que soit la forme empruntée, qu’elle soit monarchique ou républicaine, selon ses termes fameux : « La République une et indivisible, c’est notre royaume de France » (L’Argent suite, 1913). Il se définit lui-même comme « inter-nationaliste ». Les nations ont leur propre identité, leur liberté et leur vocation. Elles cohabitent, s’allient et parfois, malheureusement, s’affrontent. Telle est la loi humaine.

Dans le concert des nations, la France a une destinée éminente. Héritier de Michelet, inspirateur de De Gaulle, Péguy croit à la vocation singulière et universelle de notre pays. Dans la défense des peuples opprimés, dans le refus de voir un innocent condamné – Dreyfus – la France se conforme à cette vocation qui est de porter haut la vérité, la liberté et la justice. En cela, l’auteur de Notre patrie en 1905 s’inscrit dans une tradition qui se trouve à gauche de l’échiquier politique jusqu’au tout début du XXe siècle. C’est celle des soldats de l’an II, de la patrie des Lumières et des droits de l’homme. Revenu au christianisme, Péguy y ajoutera une autre dimension : « C’est embêtant, dit Dieu, quand il n’y aura plus ces Français. Il y a des choses que je fais, il n’y aura plus personne pour les comprendre. » (Le Mystère des Saints Innocents, 1912).

Dans cet engagement patriotique, 1905 constitue un tournant. Alors que le Kaiser Guillaume II met sous pression la France avec la crise de Tanger au Maroc, Péguy, en bon prophète qu’il est, voit venir la menace allemande à travers l’idéologie pangermaniste. Pour lui la guerre devient non pas désirable mais inéluctable. Dès lors, il n’a de cesse de dénoncer ceux qui, irénistes, pensent encore qu’elle pourra être évitée par des compromis. C’est l’une des causes, non la seule, de la rupture avec Jaurès. Sentinelle en quelque sorte postée à la frontière, Péguy durcit sa position, et les mots qui vont avec, à tel point qu’il a pu passer pour belliqueux. Peut-être, en effet, sentant la fatalité du mouvement tragique, l’a-t-il accompagné. On se souvient des vers d’Ève : « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle, / Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre. », écrit-il en 1913. D’aucuns y virent comme une prémonition. Péguy fit son devoir. Au moment de quitter ses proches, il a ses paroles : « Je pars soldat de la République, pour le désarmement général, pour la dernière des guerres ». Il meurt pour la France le 5 septembre 1914 à Villeroy, dans les prémices de la Bataille de la Marne, alors que les Allemands sont aux portes de Paris.

Péguy nationaliste ? Peut-être. Péguy patriote ? Certainement. Mais plus que tout : Péguy français.

Crédits photos : 

Illustration de l’article : Édouard Detaille, Le Rêve, 1888, Musée d’Orsay © WikiCommons

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