Napoléon III vu par les écrivains : Alexandre Dumas

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Alexandre Dumas, lettre à Napoléon III, le 10 août 1864


Lorsqu’en 1864, la censure s’abat sur la pièce les Mohicans de Paris d’Alexandre Dumas, l’écrivain saisit sa plume et adresse à Napoléon III une lettre bien singulière.

Sire,

Il y avait en 1830, et il y a encore aujourd’hui, trois hommes à la tête de la littérature française. Ces trois hommes sont : Victor Hugo, Lamartine et moi. Victor Hugo est proscrit, Lamartine est ruiné. On ne peut me proscrire comme Hugo : rien dans mes écrits, dans ma vie ou dans mes paroles ne donne prise à la proscription. Mais on peut me ruiner comme Lamartine, et, en effet, on me ruine. Je ne sais quelle malveillance anime la censure contre moi. J’ai écrit et publié douze cents volumes. Ce n’est pas à moi de les apprécier au point de vue littéraire. Traduits dans toutes les langues, ils ont été aussi loin que la vapeur a pu les porter. Quoique je sois le moins digne des trois, ils m’ont fait, dans les cinq parties du monde, le plus populaire des trois, peut-être parce que l’un est un penseur, l’autre un rêveur, et que je ne suis, moi, qu’un vulgarisateur. De ces douze cents volumes, il n’en est pas un qu’on ne puisse laisser lire à un ouvrier du faubourg Saint-Antoine, le plus républicain, ou à une jeune fille du faubourg Saint-Germain, le plus pudique de nos faubourgs. Eh bien, sire, aux yeux de la censure, je suis l’homme le plus immoral qui existe. (…) Je fais observer à Votre Majesté que, pendant les six ans de la Restauration de Charles X, pendant les dix-huit ans du règne de Louis-Philippe, je n’ai jamais eu une pièce ni arrêtée ni suspendue, et j’ajoute, toujours pour Votre Majesté seule, qu’il me paraît injuste de faire perdre plus d’un demi-million à un seul auteur dramatique, lorsqu’on encourage et que l’on soutient tant de gens qui ne méritent pas ce nom ! J’en appelle donc, pour la première fois et probablement pour la dernière, au prince dont j’ai eu l’honneur de serrer la main à Arenenberg, à Ham et à l’Élysée, et qui, m’ayant trouvé comme prosélyte dévoué sur le chemin de l’exil et sur celui de la prison, ne m’a jamais trouvé comme solliciteur sur celui de l’Empire !

Alexandre Dumas, lettre à Napoléon III, le 10 août 1864

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Crédit image :Alexandre Dumas, portrait de Nadar, 1855 © Commons Wikimedia. 

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