Naissance du réalisateur Alain Resnais

RETOUR AU DOSSIER

Par Suzanne Liandrat-Guigues, professeure Émérite en Études cinématographiques de l'Université Paris-8


À une stricte enfance bretonne, bourgeoise, catholique, l’entrée de « passagers clandestins » (pour reprendre la formule de Francis Lacassin dans un essai publié en 1979) apporta une touche fantaisiste dans l’esprit d’Alain Resnais avant d’infléchir l’oeuvre à venir : il y eut la légende de la soeur de sa grand-mère ayant vu passer le cortège funèbre d’une voisine qui ne devait mourir que huit jours plus tard, ou celle de ce grand oncle marin ayant surpris un fantôme notant sur son livre de bord la position d’un navire en train de couler sous d’autres latitudes.

La vie est un roman

Étant passé des bandes du Pathé-Baby – la petite caméra amateur reçue en cadeau pour ses douze ans – à la fréquentation de la salle paroissiale de Vannes, l’adolescent organisa bientôt des séances de projection de ses propres films en 8mm pour ses copains de collège qui en étaient les acteurs non déclarés. À l’exaltation procurée par certaines bandes dessinées (Mandrake le magicien, Dick Tracy ou Harry et les pirates) ou histoires illustrées (Les Aventures de Harry Dickson) se joignirent les prouesses du roman populaire et les escapades en secret sur l’Ile d’Arradon où, expérimentant la formule de fabrication du verre antique, il s’amuse à faire griller du sable. Plus tard, Resnais étant à Paris, la fréquentation de la Cinémathèque française, les présentations de Langlois « qui ne finissait jamais ses phrases », la passion pour le théâtre (Jouvet, Pitoëff, Guitry), la découverte des Surréalistes, décuplèrent sa sensibilité autant que sa culture. L’Idhec étant créé, il passa le concours sur le conseil de la monteuse Myriam et eut Henri Colpi pour condisciple. À partir des années 1950, la biographie de Resnais se confond en grande partie avec sa filmographie.

Resnais, ou l’art de la variation

Son cinéma n’est pas la représentation d’une réalité donnée, mais livre « un produit du montage et de la caméra » (Youssef Ishaghpour). Le processus du film, son écriture, créent un sens ne lui préexistant pas. C’est vrai des admirables courts-métrages dont l’innovation formelle s’impose : 1953, Les Statues meurent aussi (conçu avec Chris Marker) ; 1955, Nuit et brouillard (avec Jean Cayrol) ; 1956, Toute la mémoire du monde ; 1958, Le Chant du Styrène. Son premier long métrage, Hiroshima mon amour (avec Marguerite Duras) est un événement dont la revue Positif  («1959, c’est l’année d’Alain Resnais!») et la table ronde des Cahiers du cinéma («Hiroshima, notre amour») se font l’écho.

Pour Serge Daney, avec Nuit et brouillard, Hiroshima et Muriel, le réalisateur « a signé trois films géniaux, trois témoins irrécusables de notre modernité.[…] Au tournant des années 1960, Resnais a été mieux qu’un cinéaste, un sismographe » d’où que la suite ait pu ennuyer le critique. Cette pointe nostalgique s’est retrouvée chez d’autres. Le rapport à l’histoire avait-il changé chez Resnais ? N’est-ce pas plutôt qu’il n’a cessé de produire un cinéma à-centré, à plusieurs facettes, quel qu’en soit le sujet ? N’en déplaise à ses contempteurs, l’oeuvre ne s’est pas arrêtée à Muriel. Le cinéaste a poursuivi sa recherche, exemplaire dans sa volonté de ne pas enclore la pensée, de tout remettre en question à chaque film, par un sens aigu de la variation stylistique autant que thématique.

Une poétique de l’incertain

Un principe d’incertitude hante cette oeuvre. Que l’on perçoive un balancement suggestif en divers titres ( l’oxymore Hiroshima/Amour ; Muriel ou le temps d’un retour ; l’anti-phrase « la guerre est finie » ; l’inversion de la sentence populaire autant que paternelle « la vie n’est pas un roman » ; la fonction du « ou bien » dans Smoking No smoking, etc.), qu’il s’agisse de la multiplication des genres (film d’art, essai politique, drame, comédie chantée et dansée), de la divergence des thématiques : passer des grands sujets du XXe siècle (les camps, la bombe atomique, la torture en Algérie) à l’atmosphère des années 1930, avec Mélo, Stavisky, Pas sur la bouche, comme si Resnais prenait au sérieux Gérard Granel (Les années trente sont devant nous). En 1997, On connaît la chanson est un succès public. Derrière la légèreté apparente du film, se perçoit un même intérêt pour la chanson populaire que Marguerite Duras (qui vient de mourir) ou que Nicole Vedrès (que Resnais assistait sur Paris 1900 ). Le refus de l’univocité entraîne un déploiement d’éléments sonores, de matériaux, de personnages, de situations, de décors, où excellent tant de ses films (Je t’aime je t’aime, Providence, Mon oncle d’Amérique, Coeurs, Les Herbes folles jusqu’à Aimer, boire et chanter). Cette combinatoire, si brillante soit-elle, ne laisse pas de distiller une sourde méditation sur le temps qui fait et défait les aspirations humaines, qu’elles soient intimes ou collectives.

À lire:

Alain Resnais. Positif, revue de cinéma (Anthologie établie par Stéphane Goudet), Folio, Gallimard, 2002

Suzanne Liandrat-Guigues et Jean-Louis Leutrat, Alain Resnais. Liaisons secrètes, accords vagabonds (suivi d’un entretien avec Alain Resnais), coll. « Auteurs », Cahiers du cinéma, 2006

Sylvie Lindeperg, Nuit et Brouillard. Un film dans l’histoire, Odile Jacob, 2007

François Thomas, Alain Resnais. Les coulisses de la création, Entretiens avec ses proches collaborateurs, Armand Colin, 2016

Crédits photos :

Illustration de la page d’accueil : Alain Resnais vu par Laurent Lefeuvre : dessin réalisé pour le film documentaire de Laurent Sylvestre, Jean Gruault, le scénario d’une vie © Laurent Lefeuvre/Sancho & Compagnie – Droits réservés

Illustration du chapô : Affiche du film « Hiroshima mon amour » © Tamasa Diffusion

Illustration de la notice générale : Maquette de décor pour Les Herbes folles par le décorateur Jacques Saulnier © Jacques Saulnier/Cinémathèque – Droits réservés

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