Naissance du mime Marceau

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Par Valérie Bochenek, fondatrice et présidente de l’association « Un musée pour le mime »


Marcel Mangel dit Marceau est né à Strasbourg le 22 mars 1923 dans une famille d’origine juive. À l’âge de 4 ans, il assiste à la projection du film « La ruée vers l’or » de Charlie Chaplin qui bouleversera sa vie et façonnera son personnage de mime.

Marcel Marceau dans la Résistance

L’Alsace et son histoire, Strasbourg et son rayonnement ont façonné sa personnalité, nourri les valeurs d’humanisme et de tolérance qui marqueront sa créativité artistique. En 1939, à la déclaration de la guerre, la famille se réfugie en Dordogne. Passionné de dessin, il s’inscrit aux Arts décoratifs de Limoges, prend des cours de théâtre et participe à la Résistance en contrefaisant des documents et en aidant son cousin Georges Loinger, figure de la Résistance, à faire évacuer des enfants juifs en Suisse, déguisé en boy-scout.

Suite à l’arrestation et la déportation de son père à Auschwitz, Marcel Mangel rejoint Paris et change d’identité. Se souvenant des vers de Victor Hugo dans les Châtiments « Et Joubert sous l’Adige, et Marceau sur le Rhin », il  choisit le nom de Marceau qu’il conservera en souvenir de tous ceux morts pour défendre la liberté.

 Le silence, sa vraie nature

À Paris, il suit des cours de théâtre. De ses deux maîtres, il garde de Charles Dullin « le rythme lyrique et le souffle dramatique ».  D’Étienne Decroux, l’inventeur de la marche sur place avec Jean-Louis Barrault et le fondateur du Mime Corporel,  l’art de la géométrie du corps et la grammaire du mime. Dès le début, Étienne Decroux voit en lui « un mime né » et lui prédit une « vie prospère et heureuse, l’art du mime le conservera en jeunesse éternelle. » Si le mime moderne doit interpeller l’homme sur sa place dans la société et l’interroger sur son rapport au corps, Marceau souhaite le faire à sa manière, en développant son style qu’il veut moins en rupture avec la tradition. 

Pour l’anniversaire de ses 24 ans il crée son personnage au théâtre de Poche à Paris : « Bip ». Petit frère de Charlot et du Pierrot au masque blanc, la bouche est déchirée d’un trait rouge et le sourcil, en accent circonflexe, accentue la rêverie et la candeur. Le spectacle s’articule en deux parties, la première consacrée aux  « pantomimes de styles » qui permettent aux spectateurs de se familiariser à la technique du mime qui rend visible l’invisible. La deuxième partie est consacrée aux aventures de « Bip ». Si certains thèmes appartiennent au répertoire traditionnel de la pantomime, « Pierrot orfèvre », « Charlot patine » … les dernières créations font de « Bip » un marqueur de son temps, l’homme en proie à la solitude qui s’interroge sur un monde qui se transforme.

La carrière internationale de Marceau prend un tournant décisif en 1955. Invité à jouer pour la première fois aux États-Unis, la tournée de 15 jours durera 6 mois, le New York times titre alors : « Marcel Marceau est au théâtre ce que Charlie Chaplin est au cinéma ». Dans un pays où le gigantisme, les effets spéciaux font loi, Marceau, par son langage non verbal, montre tout, sans décor, dans un cadre de velours noir avec pour rare accessoire un banc et un chapeau où flotte une fleur.

La puissance politique du geste

Après la seconde guerre mondiale, certains gouvernements totalitaires autorisent Marceau à présenter ses « pantomimes » dans leur pays. Ils sont convaincus qu’elles ne présentent aucun danger politique pour leur régime, que ces « petites histoires silencieuses » ne sont que distrayantes, divertissantes et non subversives…

Par ses ruptures, son intensité, le geste peut devenir violent, source de conflit…ou traduire aussi un espoir de paix, de communion, d’harmonie. Et le public perçoit bien le message. Il comprend que ce « cri du silence » est aussi l’expression d’un combat pour la liberté et la dignité de l’homme contre l’injustice.

Pendant 60 ans, Marceau sera un exceptionnel Ambassadeur de la culture française dans le monde.

Héritage et Influences

Marceau a conscience qu’un Art sans transmission n’a pas d’avenir. En témoignent les deux écoles qu’il ouvre à Paris, les nombreux stages qu’il dispense et les deux compagnies qu’il crée où sa troupe présente ses mimodrames dans le monde entier, notamment « Le Manteau » d’après Gogol, « Chapeau Melon » et « Contes Fantastiques ». Des artistes, de toutes origines, vont être inspirés par la poésie du silence de Marceau. Sa venue au Japon en 1955 influence l’art du Butô, la « marche contre le vent » inspire le « Moonwalk » de Michael Jackson. La lenteur, le ralenti, la force des attitudes et du mouvement désarticulé fascinent metteurs en scène et chorégraphes. Le 27 octobre 1993, il fait rentrer l’Art du Mime à l’Académie des beaux-arts.

Marcel Marceau s’en est allé le 22 septembre 2007. Demeure la poésie du silence qu’il nous lègue dans cette époque chaotique pour surmonter les divergences culturelles, contourner les différences géographiques et rejoindre l’universalité des peuples.

À lire :

Marcel Marceau, Valérie Bochenek, Le mime Marcel Marceau, entretiens et regards avec Valérie Bochenek, Paris, Somogy, 1997

Crédits photos : 

Illustration du dossier : Marcel Marceau incarnant “Bip” lors d’une performance au Parc des Expositions de Zurich (Suisse), novembre 1986 © Niklaus Stauss | AKG-images

Illustration du chapô : Marcel Marceau au théâtre Erkel (Budapest) en 1968 © Eifert Jànos | Wiki Commons

Illustration de l’article : Marcel Marceau © Propriété de Gerald Bloncourt. Tous droits réservés 2023 / Bridgeman Images

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