Naissance de Thérèse de Lisieux

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Par Antoinette Guise Castelnuovo, professeur agrégée d’histoire, docteur en sciences religieuses


Thérèse de Lisieux, née Thérèse Martin, en religion Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, appelée familièrement « la petite Thérèse », ou « The little Flower of Jesus », est le visage de la mondialisation du catholicisme à l’orée du XXe siècle.

La « petite Thérèse », Docteur de l’Église, maîtresse de vie spirituelle

Née à Alençon le 2 janvier 1873, elle est morte de tuberculose au carmel de Lisieux le 30 septembre 1897 à l’âge de 24 ans, après 9 ans de vie religieuse. Elle a été déclarée sainte en 1925 et proclamée « Docteur de l’Église » en 1997, un titre décerné au fil des siècles à une petite quarantaine d’intellectuels de référence, tels Augustin d’Hippone ou Thomas d’Aquin, au sein desquels le profil de la « petite Thérèse » détonne. Sa vie fut brève, c’est une femme, qui plus est canonisée de fraîche date et qui n’a ni publié, ni enseigné, ni prêché. Tout juste a-t-elle participé à la formation de quelques novices et exercé à l’occasion une sorte de direction spirituelle informelle auprès de ses proches.

Le livre qui l’a fait connaître, communément désigné sous le nom d’Histoire d’une âme, est une compilation d’écrits autobiographiques réalisée après sa mort par son entourage, dans le but de faire connaître une doctrine que Thérèse appelait elle-même sa « voie de confiance et d’amour », à ses yeux une voie « toute nouvelle », car elle s’inscrit dans un courant de spiritualité alors minoritaire dans l’Église. Histoire d’une âme est publié dès 1898, et devient en moins d’une décennie un best seller de l’édition catholique, traduit dans des dizaines de langues et rapidement diffusé en abrégés très bon marché, pour une diffusion estimée aujourd’hui à cinq cents millions d’exemplaires.

Il faut toutefois attendre les années 1950 pour que soit engagée la publication exhaustive et scientifique des traces laissées par la sainte : correspondance, poésies, prières, « récréations pieuses » et « dernières paroles ». À l’échelle du temps catholique, la publication des œuvres complètes (1971-1992) permettant un travail théologique et historico-critique sur sa vie et sa doctrine est récente.

L’exceptionnelle popularité d’une « sainte à miracles »

La popularité mondiale de Thérèse de Lisieux est sans équivalent dans la sphère catholique. Elle peut s’expérimenter en visitant les églises : on rencontre sa statue quasiment partout, identifiable à son habit de carmélite, au crucifix et au bouquet de roses qu’elle tient dans ses mains jointes, à un visage souriant et juvénile. Les photographies en noir et blanc, qui ont aujourd’hui la faveur d’une institution soucieuse de dégager le « vrai » visage de Thérèse d’un kitsch religieux jugé peu propice au développement d’une spiritualité authentique, sont répandues à partir des années 1960. La diversité des images aujourd’hui en circulation témoignent de la popularité d’une sainte adoptée et adaptée selon les temps, les aires culturelles et les sensibilités.

Considérée par les papes comme une « maîtresse de vie spirituelle » (Pie XI) voire « la plus grande sainte des temps modernes » (Pie XII), Thérèse de Lisieux est, aux yeux des fidèles, en tout premier lieu une sainte qui exauce les prières. Les récits de miracles obtenus par son intercession ont été très largement diffusés par le carmel de Lisieux entre 1908 et 1926, dans des annales intitulées Pluie de roses. Une réputation d’intercesseur efficace adossée à des paroles que Thérèse aurait prononcées à la fin de sa vie : « je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre » et « après ma mort, je ferai tomber une pluie de roses ».

La vocation, personnelle et universelle, de l’Amour radical

Au temps de Thérèse, la préoccupation principale du catholique était de « sauver son âme », c’est-à-dire d’éviter l’enfer et de raccourcir son temps de purgatoire, l’accès direct au « ciel » étant réservé à quelques rares âmes d’élite. Thérèse, très jeune, a choisi de renverser cette perspective : elle veut occuper la première place auprès de Jésus et choisi de se livrer au feu de l’amour, « plus sanctifiant que celui du purgatoire ».

« Je compris que si l’Amour venait à s’éteindre, les Apôtres n’annonceraient plus l’Évangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang. Je compris (…) que l’Amour était tout, qu’il embrassait tous les temps et tous les lieux… en un mot, qu’il est éternel !… Alors dans l’excès de ma joie délirante, je me suis écriée : O Jésus, mon Amour… ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour… Oui j’ai trouvé ma place dans l’Église et cette place, ô mon Dieu, c’est vous qui me l’avez donnée… dans le Cœur de l’Église, ma Mère, je serai l’Amour… ainsi je serai tout… ainsi mon rêve sera réalisé !!!…» (Manuscrit B, 1896)

Thérèse a compris assez vite – mais, en réalité, elle était déjà à la fin de sa vie – qu’il lui fallait transmettre son expérience spirituelle.

On est donc dans une forme de démocratisation de la sainteté, qui se conjugue avec la certitude qu’ayant toujours fait la volonté de Dieu sur la terre, elle obtiendrait tout de Dieu une fois rendue au ciel. Les lecteurs de Thérèse, en lisant le récit de ses expériences spirituelles intimes, y découvrent une dimension à la fois personnelle et universelle. Il en ressort un triple désir : celui de se mettre à son école, celui de la faire connaître et, enfin, celui de lui confier les difficultés de leur vie, puisque Thérèse décrit le « ciel » comme un lieu où, au lieu de se reposer, l’on peut agir pour le monde à la mesure dont on a fait la volonté de Dieu sur la terre.

L’extension et la durée de la popularité de la « petite Thérèse » dans le monde catholique tient au fait que le partage de son expérience de l’intimité avec Jésus, dans une radicalité de l’amour présentée comme accessible à toutes les âmes de bonne volonté, a fait d’elle tout ensemble une sainte à miracles et une maîtresse de vie spirituelle.

À lire :

Guise Castelnuovo, Antoinette, Les miracles de Thérèse de Lisieux : recompositions du surnaturel (1898-1927), Paris, éd. Khartala, coll. « Histoire des mondes chrétiens », 2017.

Guise Castelnuovo, Antoinette, « Entre catholicisme et patriotisme. Thérèse de Lisieux, patronne des Poilus », dans X. Boniface et B. Béthouart, Les Chrétiens, la guerre et la paix. De la paix de Dieu à l’esprit d’Assise, Rennes, PUR, 2012, p. 37-51.

Guise Castelnuovo, Antoinette, « Thérèse de Lisieux, patronne de la France (1944) et Docteur de l’Amour divin (1997) », Rivista di storia del cristianesimo : santi patroni. Religione, politica, identità nell’Europa del secondo Novecento, XIV/2, 2017, p. 269-290.

Langlois, Claude, Le désir de sacerdoce chez Thérèse de Lisieux, Paris, Salvator, coll. Pierres d’angle, 2001.

Langlois, Claude, Thérèse de Lisieux et la miséricorde, Paris, éd. du Cerf, 2016.

Gaucher, Guy, Histoire d’une vie, Thérèse Martin, Paris, éd. du Cerf, 2015 (rééd.).

Crédits photos :

Illustration de la page d’accueil : Procession à Lisieux en 1923, pour la translation du corps de Thérèse du cimetière à la chapelle du Carmel : la châsse entre dans la chapelle du Carmel. Photographie de l’agence Rol © Gallica / BnF

Illustration du chapô : Première de couverture de “Pluie de roses”, récit des miracles de Thérèse diffusé par le Carmel, édition de 1928 © Gallica / BnF

Illustration de l’article : Procession à Lisieux en 1923, pour la translation du corps de Thérèse du cimetière à la chapelle du Carmel : la châsse quitte la cathédrale Saint-Pierre. Photographie de l’agence Rol © Gallica / BnF

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