Naissance de Simone Signoret

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Par Vincent Amiel, professeur à l’université Panthéon-Sorbonne et à l’ESRA, auteur de Josef L. Mankievicz et son double et d’une Histoire Vagabonde du cinéma (avec José Moure)


Si chaque acteur ou actrice trouve une fois dans sa carrière le rôle qui cristallise son image, qui fait résonner une part de sa vérité en même temps que son aura singulière, le personnage de Mathilde, résistante dans L’Armée des ombres, pourrait être celui de Simone Signoret. Elle y incarne une femme mûre, organisant tranquillement les expéditions les plus risquées contre la gestapo, suscitant par ses engagements l’admiration de ses amis autant que leur affection, engageant les autres par son seul exemple à plus de conscience et de courage. L’autorité de l’actrice est toute entière dans ce portrait, sa chaleur, son exigence morale, son professionnalisme. Jusqu’aux scènes de déguisements, dans lesquelles elle se grime et cherche des personnages, et dans lesquelles elle retrouve, entre autres, les attributs des prostituées qui ont marqué ses débuts éblouissants, de Dédée d’Anvers à Casque d’or en passant par La Ronde. Un clin d’œil de Jean-Pierre Melville à la carrière déjà mythique de celle qui, d’un voyage provocateur en URSS à la reconnaissance (rarissime pour une actrice française) d’un Oscar à Hollywood, eut dans le monde entier un statut de star. 

Il y a en effet de très grandes actrices dont l’aura ne dépasse pas les bords du cadre ou des planches, et il y a des stars dont l’image privée se mêle facilement aux rôles qu’elles interprètent… et puis il y a celles, beaucoup plus rares, dont l’autorité d’actrice et l’autorité de femme se font écho : c’est le cas de Simone Signoret. Elle fut une grande dame du cinéma français, non seulement parce qu’elle était une actrice impeccable, non seulement parce que sa liberté débordait largement le domaine du spectacle pour afficher ses engagements dans la sphère politique aussi bien que privée, mais parce qu’elle entraînait dans son sillage mari, amis, collaborateurs, marquant de sa présence des cercles de plus en plus lointains, jusqu’aux téléspectateurs de ses derniers rôles.

Signoret restera un exemple rare d’actrice composant avec son corps, assumant les contraintes de celui-ci à tout âge : il faut la voir utiliser la maladresse de sa démarche en talons hauts sur les pavés d’Anvers, donnant à Dédée une allure gamine qui contraste avec son visage sculptural, comme il faut admirer de la même façon le trouble qui saisit sa silhouette vieillissante face à Alain Delon dans La Veuve Couderc ou Les Granges brûlées. Du grand art qui puise dans une certaine idée de soi, de son métier, de sa condition…

À lire :

Simone Signoret, La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était, Paris, éditions du Seuil, 2010  

Vincent Amiel, Jacqueline Nacache, Geneviève Sellier, Christian Viviani (dir.), L’Acteur de cinéma, approches plurielles, PUR-éditions, collection Le spectaculaire cinéma, 2007 

Vincent Amiel, José MoureHistoire Vagabonde du Cinéma, Paris, éditions Vendémiaire, 2020

À voir :

L’Armée des ombres, de Jean-Pierre Melville 

Casque d’or, de Jacques Becker 

Dédée d’Anvers, d’Yves Allégret 

La Ronde, de Max Ophuls 

La Veuve Couderc, de Pierre Granier-Deferre 

Les Granges brûlées, de Jean Chapot 

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