Naissance de l’écrivain Jean-François Marmontel

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Par Jean-François Bianco, enseignant-chercheur à l’université d’Angers.


Certains manuels d’histoire littéraire l’ignorent. D’autres le traitent avec un mépris condescendant. Jean-François Marmontel porte la marque peu enviable des auteurs que l’on dit de second plan. Il fut largement éclipsé par Voltaire, son maître et son mentor. Il n’avait pas le sens du combat et le goût de la provocation qui distinguent le patriarche de Ferney. Face à Rousseau, qu’il a combattu farouchement, il disparaît du regard de la postérité. Ses Mémoires, texte destiné d’abord à ses enfants, pourtant sa meilleure œuvre selon un avis répandu, n’ont pas l’écho polémique des Confessions. Il entretient des relations amicales avec Diderot ; il participe à l’Encyclopédie, mais le Philosophe le juge parfois sans ménagement. Pourtant, Marmontel, oublié, fut célèbre, parfois bruyamment, en son temps, et reste mémorable, comme on l’a dit, à divers titres.  

 L’esprit des Lumières 

 Né le 11 juillet 1723, il fait partie d’une seconde génération des Lumières, celle qui s’est construite dans le sillage des grands noms qu’on vient d’évoquer, celle qui a connu la Révolution, celle, peut-on dire, qui a rencontré l’avenir. Mort dans la nuit du 30 au 31 décembre 1799, il semble marquer la clôture du siècle, comme on l’a noté. La vie de Marmontel s’inscrit parfaitement dans le moment des Lumières et reflète assez fidèlement l’esprit d’une époque.  

Sa carrière est exemplaire. Né à Bort-les-Orgues, dans la province du Limousin, fils d’un maître tailleur d’habits, il appartient à un milieu modeste. Son ascension sociale sera remarquable. Elle commence par ses études chez les jésuites de Mauriac, puis de Toulouse. Ayant reçu la tonsure, il pense un moment intégrer la Compagnie. Il en est dissuadé. Sa vocation littéraire se révèle lorsqu’il remporte plusieurs prix de poésie de l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse, en 1744-45. C’est à l’occasion d’un de ces concours, où il avait échoué d’abord avec une ode sur l’invention de la poudre à canon, qu’il écrit à Voltaire pour obtenir l’avis du grand homme.  

Un homme de lettres 

Ce dernier invite le jeune poète à se rendre à Paris et lui propose en 1746 d’écrire une préface pour une édition de La Henriade. Mais à l’époque la réussite littéraire passe en priorité par le théâtre. Marmontel se lance dans la tragédie. S’il rencontre d’abord quelques succès (Denys le Tyran, 1748), il subit ensuite l’échec et parfois les railleries (Cléopâtre, 1750, Égyptus, 1753). Une consolation lui est offerte par Madame de Pompadour : il devient, en 1753, secrétaire des Bâtiments du Roi à Versailles. Une consécration proprement littéraire l’attend un peu plus tard : il obtient en 1758 la direction du Mercure de France. C’est dans ce journal qu’il a publié son premier conte, Alcibiade en 1755. En effet, Marmontel, victime du théâtre tragique, va devenir le spécialiste et le promoteur d’un genre à succès de son temps, le conte moral, où l’on célèbre les bons sentiments et la famille. Un court séjour à la Bastille en 1759 complète son curriculum vitae. Libéré par l’intervention de Louis XV lui-même, il fait, en 1760, le pèlerinage voltairien de Ferney. C’est après la parution de sa Poétique française en 1763 que Marmontel, autre consécration, est élu à l’Académie française au fauteuil de Bougainville. Il sera secrétaire perpétuel en 1783.  

 Marmontel et les philosophes

 En 1767, la Sorbonne et l’archevêque de Paris censurent son Bélisaire paru pourtant avec le privilège royal. Cela provoque un véritable scandale qui a des répercussions dans toute l’Europe. Le chapitre XV du roman devient une référence pour le parti des « philosophes ». Marmontel y défend la tolérance et y écrit la fameuse phrase censurée : « La vérité luit de sa propre lumière ; et on n’éclaire pas les esprits avec les flammes des bûchers. » Cette sentence sera reprise très vite par Voltaire dans L’Ingénu (1767).  Marmontel en profite pour faire de cet Ingénu en 1768 une comédie en vers mêlée d’ariettes, Le Huron, sur une musique du compositeur Grétry. Une longue collaboration commence avec, entre autres, Zémire et Azor, comédie-ballet, en 1771. Marmontel avait déjà été librettiste pour Rameau. Il le sera encore pour Piccinni. En 1776, il prend la tête des Piccinnistes contre les Gluckistes dans une de ces querelles musicales qui animent les salons. Un autre honneur l’attend en 1772 : il devient historiographe de France. Avec Les Incas, en 1777, il propose un roman engagé pour la tolérance et une épopée en prose qui ouvre la voie à Chateaubriand. En 1787, dans ses Éléments de littérature, il rassemble et retouche tous ses articles encyclopédiques de critique littéraire. Cela donne une réflexion esthétique riche et stimulante.  Il est bousculé par les excès de la Révolution. Les derniers chapitres de ses Mémoires condamnent même certaines idées nouvelles. On peut opposer cet épilogue troublé aux premières pages qui brossent le tableau aux couleurs utopiques d’une enfance heureuse. Finalement, ce polygraphe n’est pas seulement l’homme d’une carrière. Son œuvre est multiple. Cet auteur réputé modéré, pris dans les remous de l’histoire, révèle, dans de nombreux domaines, une certaine complexité que beaucoup de critiques actuels cherchent à éclairer. 

Crédits photos : 

Illustration de la page d’accueil : Portrait de Jean-François Marmontel, Alexander Roslin (1767) © Musée du Louvre | WikiCommons 

Illustration du chapô : Jean-François Marmontel / gravure de Gottlieb Lebrecht Crusius, d’après un dessin de C. N. Cochin © BnF | Gallica

Illustration de l’article : Contes moraux. Tome 1, par M. Marmontel © Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares | Gallica 

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