Naissance de la sculptrice et dessinatrice Jane Poupelet
RETOUR AU DOSSIERPar Wassili Joseph, docteur en histoire de l'art
Femme engagée et artiste singulière, Jane Poupelet incarne l’esprit de modernité du début du XXe siècle, affirmant une sculpture de l’épure et s’engageant dans la cause féministe.
Devenir sculptrice
Marie Marcelle Jane Poupelet est née le 19 avril 1874 à Clauzure en Dordogne où elle passera une partie de son enfance. Attirée très jeune par les arts, elle aurait commencé à modeler la terre dès l’âge de 4 ans. À Bordeaux, en 1892, elle est la première femme à entrer à l’École des Beaux-Arts, à une époque où seuls les hommes pouvaient y prétendre.
À partir de 1896 elle s’établit à Paris grâce à l’appui d’Hubertine Auclert (1848-1914), pionnière du féminisme. Dès 1897, elle fréquente l’Académie Jullian et l’Académie Vitti, institutions indépendantes ouvertes aux femmes à la différence de l’École nationale des Beaux-Arts.
Soucieuse de faire carrière, elle expose ses premières œuvres sous le pseudonyme de Simon de La Vergne, d’abord en 1899 au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts (SNBA), puis à l’Exposition Universelle de 1900 où elle obtient une médaille de bronze pour une vasque décorative.
La sculpture à Paris au début du XXe siècle
En 1900, la sculpture parisienne est dominée par la figure tutélaire d’Auguste Rodin (1840-1917) qui a imposé l’expressionisme des formes ; mais de nouvelles tendances émergent. Le courant ioniste propose un formalisme classique : lignes simples, références à l’antiquité, émotions mesurées. Aux côtés d’Antoine Bourdelle (1861-1929) et d’Aristide Maillol (1861-1944), on trouve dans cette mouvance les frères Schnegg, Lucien (1864-1909) et Gaston (1866-1953), Charles Despiau (1874-1946), François Pompon (1855-1933), Robert Wlérick (1882-1944), Frederic William MacMonnies (1863-1937). Parmi les quelques femmes, Jane Poupelet apparait comme la muse de « La bande à Schnegg ».
À partir de 1901, elle revient aux expositions sous son véritable nom et présente au Salon de la SNBA de 1904 une de ses œuvres les plus singulières, l’Enterrement d’enfant en Dordogne (Périgueux, musée d’Art et d’Archéologie), cortège funéraire de paysans alliant une grande simplicité d’exécution à la caractérisation de types psychologiques. Mais dès 1906, Poupelet abandonne ces sujets sentimentaux pour se consacrer essentiellement à la représentation des animaux et du corps féminin.
« La beauté dans la simplicité »
Son bestiaire rural et domestique capte l’essence des attitudes animales dans des formes épurées et synthétiques. Chats, canards, coqs, lapins, trouvent ainsi noblesse et dignité. Poupelet évacue toute dimension anecdotique en simplifiant ses compositions : de son groupe Paysan conduisant sa vache elle ne garde que la vache (1905, Paris, Musée national d’art moderne, en dépôt au musée de Vire). D’Ânesse et son petit elle isole l’ânon qui deviendra son œuvre la plus populaire (1909, Paris, musée d’Orsay).
Ses corps féminins combinent géométrie formelle et sensualité, une « beauté dans la simplicité » selon les mots de Rodin. Les modèles s’inscrivent pleinement dans la modernité par le refus des poses académiques au profit de gestes libres et naturels comme dans sa Baigneuse au bord de l’eau (1911, Périgueux, musée d’Art et d’Archéologie). Paradoxalement, à l’inverse de ses sculptures, ses dessins montrent des corps très réalistes, témoins de son étude minutieuse de l’anatomie comme dans Nu de dos les bras levés (1906, Paris, Musée national d’art moderne). Ainsi, Poupelet fait incarner à ses figures ses propres revendications féministes : reconnaissance du statut des mères de famille, suppression du corset. Elle adhère d’ailleurs à la Ligue des mères de famille, au Club des Unes internationales et à l’Américan Women’s Club.
Le Studio for Portrait Masks
Alors que dans les années 1910, Jane Poupelet atteint une renommée internationale, la Première guerre mondiale met entre parenthèse sa carrière. Elle s’engage dans différentes causes patriotiques : fabrique de jouets, concert, expositions au profit d’œuvres caritatives.
De 1917 à 1920, elle rejoint le Studio for Portrait Masks, initiative de l’Américaine Anna Ladd Coleman (1878-1939). Elle y produit des masques pour les soldats défigurés au combat : les « gueules cassées ». Les prothèses sont moulées à la cire sur les visages, modelées pour recomposer les formes manquantes, tirées en cuivre grâce au procédé de la galvanoplastie et ornées de peinture émaillée afin donner l’illusion de la peau.
La consécration
Après la guerre, Jane Poupelet reprend la sculpture et renoue avec le succès.
En 1923, elle fait partie du groupe sécessionniste de la SNBA qui crée le Salon de Tuileries. Elle y expose plusieurs œuvres dont Femme à sa toilette (New York, The Metropolitan Museum) et le bronze dorée d’Imploration (Paris, Musée national d’art moderne).
Elle est faite Chevalier de la Légion d’honneur en 1928, année de la première rétrospective dédiée à son œuvre à la galerie Bernier. Une seconde aura lieu en 1930 accompagnée d’une monographie.
Elle décède le 17 octobre 1932 des suites d’une maladie pulmonaire.
À lire :
Anne RIVIÈRE dir., Jane Poupelet, 1874-1932, Paris, Gallimard, 2006 (catalogue de l’exposition présentée à Roubaix, Bordeaux et Mont-de-Marsan).
Jane POUPELET, Charles KUNSTLER, Jane Poupelet / Charles Kunstler, Paris, G. Crès, 1930.
Crédits images :
Bannière de la page d’accueil : Thérèse Bonnet, photographie de Jane Poupelet, date de publication inconnue © The Regents of the University of California, The Bancroft Library, University of California, Berkeley. This work is made available under a Creative Commons Attribution 4.0 license
Illustration du chapô : Jacques-Lucien Shcnegg, Buste de Jane Poupelet, 1907, photographie de Charles Saunier, 2015 © Wikimedia Commons
Bannière de l’article : Jane Poupelet, Chat endormi, première moitié du XXe siècle, Cleveland Museum of Art © Wikimedia Commons