Naissance de la physicienne Cécile DeWitt-Morette

RETOUR AU DOSSIER

Par Bérengère Dubrulle, astrophysicienne, directrice de recherche au CNRS, directrice de l’École de physique des Houches


Si vous vous promenez au-dessus de la ville des Houches, au lieu-dit « Côte des Chavants », vous remarquerez peut-être quelques chalets éparpillés face au Mont Blanc. Sous leur aspect paisible et anodin se cache l’École de Physique des Houches connue dans le monde entier et  fréquentée par les plus grands scientifiques, dont 50 Prix Nobels et 3 médailles Fields. Cette École prestigieuse fut fondée en 1951 par une jeune physicienne française, tout juste âgée de 28 ans : Cecile DeWitt-Morette.

Une physicienne prometteuse et patriote

Cécile Morette nait le 21 décembre 1922 à Paris, d’une mère agrégée de mathématiques et d’un père polytechnicien. En 1931, son père meurt, sa mère se remarie, et toute la famille déménage à Caen. Cécile y obtiendra une licence de mathématiques, physiques et chimie en 1943. Elle part ensuite poursuivre ses études à Paris. En parallèle, Cécile est guide de France, et participe à l’effort de guerre. À cette occasion, elle se lie avec la fille du célèbre architecte Laprade. Alors que Cécile est en train de passer les examens pour terminer son diplôme, elle perd sa grand-mère, sa mère et une de ses soeurs lors du bombardement du 6 juin 1944 sur Caen. À 21 ans, elle est maintenant soutien de famille, et doit trouver un travail. Elle se présente à Frédéric Joliot, qui la recrute comme théoricienne pour son laboratoire au Collège de France.

Amour ou patrie ?

Cécile DeWitt-Morette et Bryce DeWitt dans les Alpes © Archives de l‘École des Houches

De 1946 à 1947, Cécile complète sa formation à Dublin, sous la direction de Walter Heitler et de Peng Huan-wu. Ce dernier lui propose de l’épouser et de s’installer en Chine avec lui. Elle refuse, par peur de ne plus pouvoir rentrer en France. Après sa thèse, soutenue en 1947, elle obtient une bourse de recherche sous la direction de Niels Bohr, à Copenhague. En 1948 elle part à Princeton, invitée par Robert Oppenheimer. Au printemps 1950, on lui offre un poste de maître de conférence à Nancy. Au même moment, le physicien Bryce DeWitt la demande en mariage. Cécile est déchirée : si elle accepte, elle s’installe aux USA et ne peut accomplir son souhait de participer à la reconstruction de la recherche française. La nuit même, elle trouve une solution lui permettant de concilier amour et patriotisme : la création d’une École internationale de Physique en France.

Une refondation nécessaire et originale de l’enseignement de la physique

À cette époque, l’enseignement français en physique théorique est indigent et trop cloisonné. Les meilleurs éléments sont obligés de s’expatrier pour apprendre les bases de la physique moderne. Cécile imagine une École où les meilleurs professeurs internationaux viennent en France, durant leurs vacances d’été, pour y prodiguer un enseignement de haut niveau à un ensemble d’élèves triés sur le volet. Grâce à sa ténacité et à son entregent, elle persuade très vite l’administration française, le CNRS et des scientifiques influents (Auger, Rocard) de l’importance de son projet et démarche quelques mécènes, qui lui fourniront l’argent nécessaire. Elle obtient d’Albert Laprade la mise à disposition, pour un loyer modique, d’une ferme rustique située aux Houches en pleine nature, avec vue sur le mont Blanc. La première École de Physique s’y déroulera durant l’été 1951, avec des enseignants déjà prestigieux, comme Wolfgang Pauli (Prix Nobel 1945), Enrico Fermi (Prix Nobel 1938), ou en devenir comme Alfred Kastler (Prix Nobel 1966). Malgré la rusticité des installations – l’amphithéâtre était initialement installé dans un grenier à foin –, l’École connaît un franc succès et acquiert très rapidement une réputation internationale. Depuis, le confort s’est amélioré – plus personne ne dort dans la paille –, mais le succès demeure : chaque année, plus de 200 jeunes de toute nationalité postulent pour les 55 places disponibles aux sessions d’été.

Une vie au service de l’École de Physique

Cécile revient dès lors tous les étés avec sa famille aux Houches pour superviser les enseignements. Elle dirige l’École de Physique jusqu’en 1973, date à laquelle elle passe les rênes à Roger Balian. Elle restera cependant membre actif du conseil d’administration pendant de longues années.

En parallèle de son implication dans la gestion de l’École de Physique, Cécile poursuit une carrière remarquable de physicienne, enchainant les postes prestigieux : Berkeley (Californie) de 1952 à 1956, Chapel Hill (Caroline du Nord) de 1956 à 1972, et pour finir Austin (Texas) où elle terminera sa carrière. Elle garde néanmoins un lien fort avec la France, avec un titre de chercheur associé au CNRS jusque 1965, suivi d’un titre de professeur de l’Université de Grenoble. En 1983, Cécile reçoit le prix Marcel Grossman conjointement avec son mari. Elle s’est éteinte le 8 mai 2017 à l’âge de 94 ans.

À lire :

VERSHUEREN, Pierre, « Cécile Morette and the Les Houches summer school for theoretical physics; or, how Girls Scouts, the 1944 Caen bombing, and a marriage proposal helped rebiold French physics (1951-1972)”, British Journal of History of Science, 2019.

MONTCORGÉ, Vincent, & ALLEMAND, Luc, Les jardins de la physique, Editions CNRS (2017).

Crédits photos : 

Illustration de la page d’accueil : Cécile DeWitt-Morette à l’université d’Austin, au Texas © University of Texas (DR)

Illustration du chapô : Wolfgang Pauli aux Houches en 1952 © Archives de l‘École des Houches

Illustration de la notice générale : Session d’été à l’École de physiques des Houches © Archives de l‘École des Houches

Print Friendly, PDF & Email
Retour en haut