Naissance de Jean de La Fontaine

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Par Xavier Darcos de l’Académie française, chancelier de l’Institut


Jean de La Fontaine est un fils de la Champagne : né à Château-Thierry, il y fut baptisé en l’église Saint-Crépin le 8 juillet 1621. C’est le premier des « quatre amis » : Molière naîtra en janvier 1622, Boileau en 1636, Racine en 1639. Issu de la bourgeoisie moyenne, lui-même maître des eaux et des forêts, La Fontaine se rêve en homme de lettres et en poète. Bientôt, Paris fait bon accueil à son esprit et à sa conversation. Fouquet le pensionne. La disgrâce du puissant surintendant éloigne le poète de la cour, mais la haute aristocratie et la République des Lettres lui font fête. Il finira par entrer à l’Académie française, malgré les réticences du Roi-Soleil. Son œuvre est dominée par les Fables, écrites entre 1668 et 1694 et dont le succès fut constant, sans cesser de nourrir depuis 350 ans l’inépuisable dialogue de leurs lecteurs et spécialistes. Mais l’auteur s’était d’abord fait connaître par des Contes et nouvelles en vers qui aujourd’hui retiennent l’attention de nouveaux chercheurs et font l’objet de rééditions pour le grand public. Cette vitalité des travaux sur La Fontaine apparaît dans les ressources liées à ce dossier.

« Chaque époque a eu « ses » La Fontaine. »

Chaque époque a eu « ses » La Fontaine. Le regretté Marc Fumaroli, qui nous a quittés en 2020 en nous laissant une œuvre immense, notamment sur La Fontaine, remarquait que si le poète avait été élu à l’Académie française, c’était moins comme auteur génial des Fables qu’au titre de maître du style galant. Et il soulignait que les Quarante ont toujours su faire une place dans leur compagnie « au rire et au sourire, lien social par excellence ».

Ainsi, Fénelon prévoit l’étude d’un autre La Fontaine parmi les exercices de son élève le duc de BourgogneDiderot mentionne plus souvent les contes que les fables, mais ce sont elles que Voltaire valorise dans Le Siècle de Louis XIV, en citant La Fontaine parmi « les génies qui seront les délices et l’instruction des siècles à venir ». Cependant, il ne le place pas au même rang que Molière, Corneille, Boileau, Racine : « La Fontaine, bien moins châtié dans son style, bien moins correct dans son langage, mais unique dans sa naïveté et dans les grâces qui lui sont propres, se mit, par les choses les plus simples, presque à côté de ces hommes sublimes. »

Rousseau prit ses distances : « On fait apprendre les fables de La Fontaine à tous les enfants, et il n’y en a pas un seul qui les entende. Quand ils les entendraient, ce serait encore pis ; car la morale en est tellement mêlée et si disproportionnée à leur âge, qu’elle les porterait plus au vice qu’à la vertu. » Guère d’unanimité sur La Fontaine au XIXe. On ne le voit que passer dans la trilogie des Mousquetaires, et Lamartine n’aime pas « ces histoires d’animaux qui parlent, qui se font des leçons, qui se moquent les uns des autres, qui sont égoïstes, railleurs, avares, sans pitié, sans amitié, plus méchants que nous ». Mais la France de la Troisième République en fait l’écrivain le plus typiquement français, sur fond de nationalisme et d’exaltation de « l’esprit gaulois ». C’est le titre du premier chapitre de l’essai d’Hippolyte Taine sur La Fontaine : « Plus un poète est parfait, plus il est national. La hauteur de l’arbre indique la profondeur des racines ». Inversement, son contemporain Feuillet de Conches, chef du protocole au Ministère des Affaires étrangères, charge consuls et diplomates de faire illustrer les Fables par les artistes du monde entier : « Une ample comédie à cent actes divers / Et dont la scène est l’univers. »

Au XXe siècle, l’étoile du poète scolaire est au plus haut. Le travail des savants n’a pas cessé : avec Le poète et le roi, paru en 1997 et lui aussi devenu un classique, on mesure mieux la liberté de l’écrivain et les audaces du Parnasse dans la France de l’absolutisme.  

Une popularité colossale et ininterrompue

C’est que La Fontaine est merveilleusement paradoxal. Sa poésie réunit, dans une sorte d’utopie française, l’esprit classique ambitieux d’universalité, en repoussant toute univocité. Sa langue, qui paraît « transparente » comme les eaux des Fables, se prête à toutes les allusions. Ses histoires distillent l’émotion la plus touchante avec le plus judicieux détachement. Son œuvre, servie par des trésors d’érudition et de discernement, est d’une extraordinaire popularité. Qui de nous, aujourd’hui, n’aurait besoin qu’on lui parle bien de l’amitié véritable, de l’habileté et de la liberté face à toutes les tyrannies – sans lui faire la morale ?  

 

À lire :

La Fontaine, Fables, Édition de Marc Fumaroli, Paris, La Pochothèque, 1985.

Marc Fumaroli, Le poète et le roi, Paris, Éditions de Fallois, 1997.

Patrick Dandrey, La Fontaine ou les métamorphoses d’Orphée, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes », 1995.

Michel Serres, La Fontaine, Édité et présenté par Jean-Charles Darmon, Paris, Le Pommier, 2021.

Le Fablier, revue des Amis de Jean de La Fontaine (annuelle)

 
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