Naissance de Georges Rouault

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Par Fabrice Hergott, directeur du Musée d’Art Moderne de Paris (MAM)


Né le 27 mai 1871 dans une cave du quartier de Belleville sous les bombardements de l’avant-dernier jour de la Commune, Georges Rouault est au milieu des années 1890, avec Matisse et Marquet, l’élève du peintre Gustave Moreau, le professeur de l’école des Beaux-Arts de Paris le plus ouvert aux nouveaux courants artistiques.

Georges Rouault à la croisée des influences

Après un début normalement académique, Rouault s’engage dans une forme radicale inspirée par le regard « naturaliste » qui domine alors l’art et la littérature de son temps tout en étant sensible au symbolisme de Moreau et à son enseignement qui est un encouragement à trouver dans les moyens de la peinture ses propres ressources. Toute son œuvre sera un composé très original de ses deux tendances en apparence contradictoires. Très affecté par la mort de son professeur en 1898, Rouault connaît pendant quelques années une profonde crise personnelle pendant laquelle il s’interroge sur les buts de son art. Il reviendra par la suite et à travers ces nombreux écrits, témoignages, déclarations d’intention et une très riche correspondance, sur ses influences, les raisons de son art et ses objectifs. Si sa manière de peindre est très éloignée du réalisme et s’apparente à un expressionnisme dont il est l’un des plus importants représentants en France, ses sujets s’apparentent à ceux du peintre et illustrateur Jean-Louis Forain, alors très célèbre, qui décrit les ravages de la prostitution et l’hypocrisie d’une société satisfaite d’elle-même. Mais la technique de Rouault, avec ses dominantes de bleu et son trait discontinu, le rapproche davantage de Cézanne dont il découvre alors les peintures et les aquarelles.

Rouault peint l’univers sordide des cirques ambulants et des filles de rue avant de s’intéresser après 1905 à la violence des tribunaux vis-à-vis des démunis et de ses conséquences. Une forte empathie pour les plus humbles, soutenue par une vigoureuse foi catholique, lui fait rencontrer l’écrivain Léon Bloy dont il a lu le chef-d’œuvre « La Femme Pauvre ». Le style flamboyant et sans concessions de ce dernier, l’encourage à poursuivre une voie en quelque sorte « sociale » du fauvisme duquel il est rapproché par sa présence dans « la cage aux fauves » du salon des Indépendants de 1905. Ce sont les années les plus fulgurantes de son œuvre picturale bien qu’elles ne constituent qu’une première étape.

Le projet d’une vie : « Miserere »

Le peintre a pour habitude d’être d’un perfectionnisme tel qu’il s’impose sans cesse de reprendre ses œuvres. Si un collectionneur ou un marchand ne lui achètent pas ses œuvres, il y travaille de longues années. Rien n’est plus facile que de distinguer ses œuvres des premières années qui sont de légères et fulgurantes aquarelles de ses peintures à partir des années vingt jusqu’au milieu des années cinquante où la matière picturale s’est accumulée ou point d’en faire de très épais tableaux qui n’en sont pas moins irradiants de couleur et de poésie. Car Rouault est avant tout un peintre. Le grand marchand Ambroise Vollard (1866-1939) parvient à lui acheter l’exclusivité de son atelier ce qui a le faux avantage pour l’artiste de le libérer de toute préoccupation matérielle mais l’enchaîne au marchand. D’autant plus que Vollard a pris soin de l’installer au dernier étage de son hôtel particulier, rue de Martignac, ce qui le conduira, après la mort accidentelle du marchand, à devoir récupérer son œuvre dans un retentissant procès que le peintre gagnera.

Mais Vollard est aussi un éditeur d’ouvrages de grand luxe. Dès avant la Première Guerre mondiale, il commande à Rouault l’illustration et la gravure pour plusieurs de ses livres, ce que Rouault accepte à condition qu’il lui permette de réaliser ce qui sera le « Miserere » : un cycle de gravures dont le fond est l’immense désastre humain, matériel et moral de la Première Guerre mondiale. Ce sera, avec « la Suite Vollard » de Picasso, l’un des chefs-d’œuvre de l’art moderne. Rouault y travaillera plus de trente ans et la plupart de ses essais serviront de support et de point de départ à ses peintures.

Une postérité en demi-teinte

Après la Seconde Guerre mondiale, Rouault est un des artistes français les plus célébrés par les grandes institutions à travers le monde. On le reconnaît pour la grande qualité picturale de ses œuvres, une sorte de hiératisme intériorisé et un sens incomparable de la couleur, qu’il s’agisse de scènes de rue ou de ses « Pierrot » et  « Paysages bibliques ». Les thèmes de la guerre, de l’exil ou de la solitude résonnent dans l’esprit de ses contemporains, comme celui du cirque et des artifices de l’existence. Sans en avoir jamais fait partie, il est associé à la conscience existentialiste des années cinquante, sans parvenir, cependant, à y être rattaché. Il n’en recevra pas moins des funérailles nationales à sa mort le 13 février 1958, un honneur qui sera offert à très peu de peintres. Son grand âge – il est né la même année que Marcel Proust – et son catholicisme revendiqué ne permettent plus aux nouvelles générations de s’identifier à son parcours. C’est peut-être ce dernier point qui gênera une pleine perception de son œuvre dans un temps où la vision de l’art moderne se fonde désormais sur le formalisme et le refus de toute tradition, fût-elle spirituelle. Rouault n’en est pas moins un des peintres les plus importants de ce même art moderne. Il est « un peintre pour peintres » selon l’expression consacrée, dont l‘intérêt ne s‘est jamais complètement démenti et dont l’œuvre fera sans aucun doute l’objet de nombreuses redécouvertes.

À lire :

Georges Rouault, Sur l’art et sur la vie, préface de Bernard Dorival, Folio-essais, Paris, 1992. Première édition Denoël, 1971

Sous la direction de Fabrice Hergott, Georges Rouault, Forme, Couleur, Harmonie. Catalogue d’exposition du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, édition des Musées de Strasbourg, 2006

Angela Lampe, Georges Rouault, collection Petite monographie, éditions du Centre Georges Pompidou, Paris, 2021

Georges Rouault, Fille, 1906, © Adagp, Paris, 2018 – Cliché : Adagp images

Crédits photos :

Illustration de la page d’accueil : Georges Rouault, Fille, 1906, © Adagp, Paris, 2018 – Cliché : Adagp images

Illustration du chapô : Georges Rouault vers 1920 © WikiCommons

Illustrations de la page article : 

Haut de page : Georges Rouault, Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam tuam, 1923-1948 © Adagp, Paris, 2018 – Cliché : Adagp images

Bas de page : Georges Rouault, Fille, 1906, © Adagp, Paris, 2018 – Cliché : Adagp images

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