Naissance de Frédéric Dard

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Par Hugues Galli, maître de conférences à l’Université de Bourgogne


Frédéric Dard doit sa célébrité à l’immense succès de librairie de San-Antonio, série policière atypique dans le genre, tout à la fois pastiche des ouvrages de Peter Cheney dont le personnage principal, commissaire de police au physique avantageux et éternel coureur de jupons, ressemble à l’agent du FBI Lemmy Caution, et saga franchouillarde aux accents volontiers rabelaisiens regorgeant de néologismes et de calembours. Le pseudonyme choisi par hasard, selon la légende, qui voudrait que l’index de Frédéric Dard se soit arrêté arbitrairement sur cette ville en consultant un atlas des États-Unis pour signer la série, est aussi le nom du personnage principal par ailleurs narrateur de la saga. Débutant en 1949 avec Réglez-lui son compte et s’achevant avec Napoléon Pommier en 2000, les aventures de l’équipe constituée de San-Antonio, Bérurier, Pinaud et bien d’autres personnages récurrents compte pas moins de cent quatre-vingt-trois romans dont neuf hors-séries. Au caractère hors norme du corpus (deux à trois romans par an) s’ajoutent des ventes exponentielles (un million et demi d’exemplaires vendus par exemple de L’Histoire de France paru en 1964) qui contribuèrent à la notoriété de l’auteur mais occultèrent une partie non négligeable de sa production, dont le style est plus classique et l’atmosphère plus sombre voire désespérée, et minorèrent par ailleurs ses œuvres théâtrales ou ses nouvelles, que l’on redécouvre aujourd’hui. La critique s’accorde d’ailleurs à considérer que Frédéric Dard est l’un des pionniers du roman noir français aux côtés de Léo Malet et de Boris Vian.

« Un parfait autodidacte » 

Né le 29 juin 1921 en Isère dans la commune de Jallieu, Frédéric Dard est un parfait autodidacte. Son parcours, loin d’être linéaire, n’est d’ailleurs pas allé sans des débuts difficiles même si le talent, le travail et l’abnégation de celui qui se définissait lui-même comme un véritable obsédé textuel ne sont pas étrangers à sa réussite. Peu enclin aux études, mais excellant déjà en composition française, le futur écrivain abandonna assez rapidement ses études de comptabilité au lycée technique de La Martinière de Lyon. Il fallut quelques rencontres décisives pour déterminer un destin qui n’était pas tracé d’avance. Ainsi, rêvant de journalisme, initié à la littérature par sa grand-mère dite Bonne-maman, Frédéric Dard fit la connaissance de Marcel E. Grancher par l’intermédiaire d’un oncle en 1937, qui, un an plus tard, le fit entrer dans son journal Le mois à Lyon d’abord comme démarcheur publicitaire, puis comme rédacteur de chroniques et critiques littéraires. C’est également à cette époque que Frédéric Dard rencontra pour la première fois Georges Simenon qui aura une considérable influence sur sa vocation d’écrivain et qu’il découvrit les écrits de Louis-Ferdinand Céline par l’intermédiaire de Léon Charlaix.

Tout en poursuivant son travail de journaliste, Frédéric Dard publia son premier roman La Peuchère en 1940 et obtint le prix Lugdunum l’année suivante avec Monsieur Joos. Il se lança également dans l’édition en fondant en 1943 sa propre maison d’édition, les Éditions de Savoie où il fit paraître le Norvégien manchotCroqueluneLes Pélerins de l’enfer, autant de romans psychologiques à l’atmosphère étouffante. Il signa simultanément plusieurs romans policiers sous divers pseudonymes entre 1945 et 1951. C’est chez l’éditeur lyonnais Jaquier que la première aventure de San-Antonio fut publiée en 1949. Le livre ne connut pas le succès escompté et Frédéric Dard fut pratiquement dans l’obligation de monter à Paris pour tenter sa chance dans l’écriture théâtrale. De cette époque datent les adaptations de La neige était sale de Georges Simenon et de Jésus-la-caille de Francis Carco, mais aussi la rencontre avec Robert Hossein avec lequel il remplit le théâtre du grand guignol durant trois ans. La continuité de l’aventure san-antonienne se présenta néanmoins comme une sorte d’événement providentiel puisqu’elle assura à son auteur la possibilité de vivre de sa plume. Armand de Caro en fut l’initiateur puisqu’il décida de publier Laissez tomber la fille dans sa maison d’édition Fleuve Noire. Frédéric Dard entame alors une carrière époustouflante en terme de production littéraire. Entre 1955 et 1962, il réussit à signer de son nom, à côté des San-Antonio, près d’une trentaine de romans noirs, romans couronnés par le grand prix de littérature policière lors de la parution du Bourreau pleure en 1956.

Un auteur incontournable du XXe siècle

Attelé à la tâche jusqu’à la fin de sa vie sur sa fameuse IBM à boule, Frédéric Dard accomplit la jonction DardSan-Antonio à la fin des années 1970, initiant une nouvelle série de grands formats (Y a-t-il un Français dans la salle ?La vieille qui marchait dans la merLa Nurse anglaise, etc.) dans lesquels n’apparaît plus le commissaire San-Antonio mais qui constituent un point d’orgue à son œuvre comptant près de trois cents romans et pièces de théâtres réunis, faisant de lui l’auteur français le plus lu du vingtième siècle. Mort le 6 juin 2000, Frédéric Dard repose au cimetière de Saint-Chef, le village de son enfance, à partir duquel il souhaitait pouvoir conserver une vue sur le Mont-Blanc. Ses lecteurs lui sont restés fidèles, les jeunes générations le découvrent et l’université le salue, faisant de lui un auteur majeur du XXe siècle, comme le prouve son entrée remarquée en Sorbonne en 2010 lors d’un colloque organisé par Françoise Rullier-Theuret.

 

À lire :

• Frédéric Dard en quelques titres
Frédéric Dard, Les romans de la nuit (Cette mort dont tu parlais ; C’est toi le venin ; Des yeux pour pleurer ; Le Monte-charge ; L’Homme de l’avenue ; La Pelouse ; Une seconde de toute beauté), Omnibus, 2014.
San-Antonio, San-Antonio chez les gones, Fleuve Noir, 1962
San-Antonio, L’Histoire de France, Fleuve Noir, 1964 
San-Antonio, Le Standinge, Fleuve Noir, 1965 
San-Antonio, Bravo docteur Béru, Fleuve Noir, 1968
San-Antonio, Les Vacances de Bérurier, Fleuve Noir, 1969 
San-Antonio, Les Prédictions de Nostrabérus, Fleuve Noir, 1974
San-Antonio, Y a-t-il un Français dans la salle ?, Fleuve Noir, 1981 
San-Antonio, Faut-il tuer les petits garçons qui ont les mains sur les hanches ?, Fleuve Noir, 1984 
San-Antonio, La Fête des paires, Fleuve Noir, 1986
San-Antonio La vieille qui marchait dans la mer, Fleuve Noir, 1988

 

• Ouvrages critiques
Galli, H. (dir.) Pourquoi (re)lire San-Antonio aujourd’hui ?, Dijon : EUD, 2014.
Jeannerod, D., San-Antonio et son double, Paris : PUF, 2010.
Rullier-Theuret, F., Faut pas pisser sur les vieilles recettes. San-Antonio ou la passion pour le genre romanesque, Academia-Bruylant : Louvain-la-Neuve, 2008.

• Entretiens
San-Antonio, Je le jure (entretiens avec Sophie Lannes), Paris : Stock, 1975.

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