Vie et oeuvre de Théodore Géricault

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Par Bruno Chenique, docteur en Histoire de l’art, ancien pensionnaire à la Villa Médicis (Académie de France à Rome) et au Getty Research Institute (Los Angeles)


Pour Régis Michel, commissaire général de la fabuleuse exposition Géricault au Grand Palais, en 1991-1992, et du colloque international (Pyramide du Louvre) marquant le bicentenaire de la naissance du peintre.

Si, pour la postérité, Géricault demeure le peintre d’un seul tableau, le Radeau de la Méduse, il ne faudrait pas pour autant négliger le sculpteur (qu’admiraient Rodin, Bourdelle et Lipchitz), l’aquarelliste fabuleux (bien avant Bonington et Delacroix), le brillant dessinateur (épris de Michel-Ange et de Raphaël) et le lithographe d’avant-garde, premier artiste, en 1821, à décrire les conséquences désastreuses de la révolution industrielle basée sur l’exploitation du charbon et des hommes. 

La formation d’un artiste rebelle et antinapoléonien

Géricault naît à Rouen le 26 septembre 1791. Ses parents, Georges-Nicolas Géricault (1743-1826), avocat, et Louise-Jeanne-Marie Caruel (1753-1808) s’étaient mariés aux âges respectifs de 47 et de 38 ans. Dans les années qui suivirent la chute de Robespierre, vers 1795-1796, la famille Géricault quitte Rouen pour s’installer à Paris. Sa famille compte dans ses rangs un Conventionnel qui a voté la mort de Louis XVI. Géricault quitte le Lycée Impérial et commence à fréquenter secrètement l’atelier de Carle Vernet, peintre d’histoire et de batailles. Si le cheval semble son unique passion, il est avant tout un peintre d’histoire en devenir. Fin 1810, début 1811, il entre dans le tout nouvel atelier de Pierre Guérin, grand prix de Rome.

Géricault s’essaya aux épreuves du prix de Rome, mais il ne dépassa pas la première des trois épreuves (mars 1812). Travailleur forcené et génial, il acquiert et développe une originalité picturale : touches apparentes, cadrages, choix de sujets romantiques. À la fin de l’été 1812, il loue un atelier sur le boulevard Montmartre afin d’y peindre la toile monumentale qu’il a l’intention de présenter au futur Salon. Le 1er novembre, il expose un Portrait équestre de M. D*** (2,92 x 1,94 m. L’actuel Officier de chasseurs, conservé au musée du Louvre). Géricault a 21 ans. L’accueil des critiques d’art est des plus favorables et sur proposition de Vivant Denon, directeur du musée du Louvre, Géricault reçoit une médaille d’or. Il faut attendre la lecture perspicace de l’historien Jules Michelet (1840), pour que l’on reconnaisse dans cette peinture une subtile allégorie contre Napoléon et contre la guerre. Une guerre qu’il avait refusée en se dérobant à la conscription obligatoire grâce à l’achat d’un remplaçant (décédé en lieu et place du jeune artiste le 14 février 1812, lors de la campagne de Russie).

Un Mousquetaire du roi au Salon de 1814

Peu de temps après le 2 avril 1814, date de la destitution de Napoléon par le Sénat, Géricault s’engage dans la garde nationale à cheval de Paris, puis, le 6 juillet dans le corps des mousquetaires du roi. Quelques semaines avant l’ouverture du Salon, Géricault se met à peindre un pendant à son tableau de 1812. Le 5 novembre 1814 il expose trois tableaux : Un hussard chargeant (tableau rebaptisé du Salon de 1812), un Cuirassier blessé, quittant le feu (3,58 x 2,94 m ; musée du Louvre) et un Exercice à feu à la plaine de Grenelle (dit le Train d’Artillerie, Munich, 0,89 x 1,43 m). Le triste destin du Cuirassier blessé annonce (avec quatre mois d’avance) celui qu’allait vivre Géricault pendant les Cent-Jours. Accompagnant Louis XVIII dans sa fuite vers le nord de la France (19-20 mars 1815), le rutilant mousquetaire allait connaître les affres de la boue (c’est le thème du roman d’Aragon, La Semaine Sainte, publiée en 1958, dont il est le héros principal). Peu après il allait être licencié par le roi et banni de Paris par Napoléon.

Géricault, peintre de l’énergie romantique

Après un nouvel échec au concours du prix de Rome (18-23 mars 1816), Géricault, à ses frais, part en Italie parfaire son éducation artistique. Son oncle Conventionnel régicide est exilé par Louis XVIII. Passant par Florence, Géricault est vivement impressionné par Michel-Ange. Arrivé à Rome à la mi-novembre 1816, il s’intéresse à des sujets tirés de la vie quotidienne, notamment la décapitation de brigands. Il entreprend le tableau monumental d’une Course de chevaux libres, épisode ultra violent du carnaval romain. Quittant Rome précipitamment, il abandonne cette scène de genre subtilement doublée d’un message politique d’essence républicaine. À Rome il illustre encore la scène d’un roman abolitionniste qui stipule, dès ce moment, son rapide revirement vers l’opposition libérale. 

En janvier 1818, deux mois à peine après son retour à Paris, Géricault renoue une relation avec sa tante (la future baronne Alexandrine-Modeste Caruel de Saint-Martin). La naissance de Georges-Hippolyte, leur fils illégitime, au mois d’août, atteste cette liaison adultérine (qui ne fut révélée qu’en 1976).

Géricault s’empare d’un fait divers qui occupe la vie politique française depuis plusieurs mois : le scandaleux naufrage de La Méduse. Spectaculaire par ses dimensions, son sujet dramatique et le mouvement qui s’en dégage, la toile est exposée au Salon de 1819 sous un titre générique qui en gomme la dimension politique puis à Londres l’année suivante, où elle attire un très grand nombre de spectateurs. Le Radeau de la Méduse est aujourd’hui l’une des œuvres phares du Musée du Louvre. En 1821, Géricault effectue un second séjour d’un an à Londres. Dès le 1er février, grâce à l’imprimeur Hullmandel, il commence la publication de ses lithographies : Various Subjects Drawn from Life and on Stone by J. Gericault. La série, qui comprendra treize pièces, est considérée comme l’un des chefs-d’œuvre de cette toute nouvelle technique. Géricault y alterne des scènes de la vie du cheval avec des scènes de la misère londonienne. C’est l’un des premiers regard critique sur les conséquences désastreuses de la révolution industrielle.  

Maladie, agonie, mort à 32 ans

Trois chutes de cheval compromettent gravement sa santé. Géricault passe plusieurs mois de convalescence chez son ami Dedreux-Dorcy. Lors de sa visite du Salon de 1822 (auquel il n’a pas pris part), Géricault remarque la Barque de Dante, premier et brillant essai du jeune Eugène Delacroix. Au même moment, en vain, il cherche à vendre son Radeau de la Méduse au gouvernement. Le 11 août 1823, la faillite de son ami l’agent de change Mussard entraîne sa ruine. Son état de santé s’aggrave. Il s’alite et doit subir plusieurs opérations chirurgicales. Le 26 janvier 1824 Géricault meurt à six heures du matin, à l’âge de 32 ans et 4 mois. La messe a lieu deux jours plus tard à Notre-Dame-de-Lorette. L’inhumation se fait au cimetière du Père-Lachaise (Etex, en 1841, fera son tombeau). Le 15 août, en hommage posthume, deux tableaux de Géricault, Une forge de village et Un enfant donnant à manger à un cheval, sont exposés au Salon de 1824 par l’intermédiaire de ses amis. Les 2 et 3 novembre a lieu la vente de son atelier à l’Hôtel de Bullion. La dispersion est un grand succès. L’État achète enfin le Radeau de la Méduse pour 6.005 francs.

À lire :

Régis MICHEL (sous la direction de), actes du colloque Géricault, Paris, Auditorium du musée du Louvre, 14-16 novembre 1991 et Rouen, Auditorium du musée des Beaux-Arts, 17 novembre 1991, 2 vols, Paris, La documentation Française, 1996, I-XXXV, 527 et 565 pages.

Bruno CHENIQUE, Citoyens du Monde. Noirs et Orientaux de Géricault, avant-propos de Brigitte Maurice-Chabard, Paris, Lienart/musée Denon, 2020, 256 pages.

Jérôme THÉLOT, Géricault. Généalogie de la peinture, Strasbourg, Studiolo. L’Atelier contemporain, 2021, 286 pages.

Crédits images :

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Bannière : Officier de chasseurs à cheval de la garde impériale chargeant Théodore Géricault 1812 © Met Collection / Metropolitan Museum

Chapô: Portrait de Théodore Géricault par Horace Vernet vers 1822, 1823 © Met Collection / Metropolitan Museum

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Bannière : Femme à cheval, Théodore Géricault 1820 © Met Collection / Metropolitan Museum

Corps du texte :

Un hussard chargeant (tableau rebaptisé du Salon de 1812), huile sur toile (349cm x 266 cm), 1812, Théodore Géricault, conservé au Musée du Louvre © Wikimedia Commons / Musée du Louvre

Cuirassier blessé quittant le feu, huile sur toile, (358cm x 294cm), 1814, Théodore Géricault, conservé au Musée du Louvre © Wikimedia Commons / Musée du Louvre

Le Train d’artillerie, huile sur toile, (89,3 cm x  143,8 cm) Théodore Géricault. Allemagne, Munich, Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Neue Pinakothek. © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image BStGS 

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