Mort du chevalier Bayard

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Par Jean-Michel Dasque, diplômé de l’ENA, ancien ambassadeur, biographe du chevalier Bayard


Peu de personnages dans l’histoire de France sont aussi célèbres que le chevalier Bayard. Monuments érigés en son honneur, iconographies, pièces de théâtre, livres et manuels scolaires témoignent de la place qu’occupe Bayard dans le panthéon national. Pourtant son image est entourée d’un certain halo. Il appartient à cette catégorie d’êtres hybrides comme Roland de Roncevaux, Jeanne d’Arc, le Cid, le roi Arthur, Tristan, le Chevalier au cygne, pour lesquels il est parfois difficile de distinguer ce qui est histoire et ce qui est mythe. Il reste assez peu d’archives et de pièces authentiques le concernant. À la différence d’autres, il n’a pas laissé de mémoires ou de livre de raison. Les deux principales sources, les Gestes Ensemble la Vie du Preux Chevalier Bayard écrit par Symphorien Champier et le Loyal Serviteur d’un auteur inconnu contiennent des lacunes, idéalisent parfois leur héros, enjolivent les faits et inventent au besoin certains épisodes.

Pierre Terrail, seigneur de Bayard

Né autour de 1475 dans le Grésivaudan aux confins du Dauphiné et de la Savoie, Pierre Terrail appartenait à une famille de petite noblesse du Dauphiné. Sa mère, Hélène Alleman, sœur de l’évêque de Grenoble, lui inculqua une éducation très religieuse. En revanche, Bayard reçut une formation intellectuelle assez sommaire. Envoyé comme page à la cour de Savoie, il s’initia à la vie curiale, à ses rites, ses intrigues galantes. Il apprit à monter à cheval, à chasser ; on lui enseigna l’art de la courtoisie. En avril 1489, il accompagna le duc Charles III à Tours, où il fut présenté au roi Charles VIII. À une date difficile à fixer (sans doute 1490) il quitta le duché de Savoie et se mit au service du comte de Ligny, un des principaux officiers du roi de France. Sorti vainqueur de deux tournois, il commença à se faire connaître dans les milieux militaires. En 1494-1495, il participa à la campagne d’Italie menée par Charles VIII dans les rangs de l’armée de Stuart d’Aubigny. À partir de ce moment il prit part pratiquement à toutes les guerres d’Italie. Il guerroya aussi dans le nord de la France, à Thérouanne, en Navarre, dans le nord-est (Mézière). Bayard excellait dans les guérillas, les coups de main, les embuscades. Mais il se distingua aussi dans les batailles rangées : Fornoue (juillet 1495), Agnadel (avril 1509). Il participa à la victoire de Marignan (septembre 1515), ce qui lui valut d’être nommé lieutenant général pour le Dauphiné par François Ier. Il n’en continua pas moins la carrière des armes.

Un idéal de chevalerie

Bayard incarne merveilleusement les vertus militaires à une époque où l’esprit de la chevalerie était encore vivace ; il était tenace, agile, rusé et excellent tacticien. En 1503, il se rendit célèbre en défendant seul pendant une heure un pont sur le fleuve Garigliano, au nord de Naples, contre un groupe de soldats espagnols. Son courage et sa vaillance forgèrent sa réputation de « chevalier sans peur et sans reproche ». Ne redoutant pas la mort, il fit preuve d’un certain stoïcisme lors de ses derniers instants, le 30 avril 1524 à Rovassendo. Fidèle et loyal envers les trois rois de France sous lesquels il a servi, il rejeta les propositions des souverains étrangers. D’après Symphorien Champier, François 1er, qui l’avait en haute estime, lui aurait demandé de l’adouber chevalier le soir de la victoire de Marignan. Bien que mis en doute par des historiens modernes, cet épisode n’en a pas moins contribué à la gloire du preux chevalier. En tous les cas, le roi lui remit en 1521 le collier de chevalier de l’ordre de Saint-Michel.

De la chevalerie, il en incarnait aussi les valeurs religieuses, la largesse et d’autres vertus morales. Quand il fut blessé à mort, son premier geste fut de saisir le pommeau de son épée et d’embrasser la croisée, symbole de la croix. Charitable, libéral, il n’était nullement intéressé par l’argent. Aussi payait-il la rançon des archers prisonniers et faisait-il l’aumône aux pauvres, aux veuves et aux malades. Élevé dans le culte de l’amour chevaleresque, il témoigna toujours une grande courtoisie envers les dames. Encore très jeune, à peine arrivé en garnison à Ayre-sur-Lys, en Picardie, il organisa un tournoi en l’honneur du beau sexe.

Fortune d’un mythe

Bayard a été honoré à toutes les époques avec des aspirations diverses. À la fin du XVIe siècle, Brantôme qui lui consacre une des notices de sa Vie des Grands Capitaines voyait en lui le dernier représentant de la chevalerie à l’âge du premier absolutisme. Au XVIIe siècle, des auteurs favorables à l’affermissement du pouvoir royal insistèrent sur son dévouement à la monarchie. Un siècle plus tard, l’Histoire de Pierre Terrail dit le Chevalier Bayard de Guyard de Berville (lien Gallica) servira de manuel dans les écoles militaires jusqu’au milieu du XIXe siècle. Parmi les Français illustres que Louis XVI commanda au sculpteur Bridan en 1781, Bayard devait être figuré « parlant à son épée après avoir eu l’honneur d’armer le roi chevalier ». Chateaubriand le célèbre au même titre que Roland et Du Guesclin parmi les « féaux chevaliers » qui « prêtaient foi et hommage à leur dieu, leurs dames et leur roi ». À l’âge du positivisme, les historiens s’emparèrent de cette figure légendaire à la lumière des archives du Dauphiné et des fonds privés. Sous la Troisième République, Bayard est un des héros du roman national et proposé comme modèle aux jeunes écoliers. Populaire au XXe siècle, il fut autant revendiqué par les partisans du maréchal Pétain que par les chefs du maquis. La légende de Bayard ne faiblit pas : elle aura traversé les siècles et eu des échos jusqu’au-delà des frontières pour incarner un des visages de l’humanisme guerrier.

Sources :

Symphorien Champier, Les Gestes ensemble la vie du preux chevalier Bayard (préface de Denis Crouzet), Paris, Imprimerie Nationale, 1993, (lien Gallica)

La très Joyeuse, Plaisante et Récréative Histoire du Gentil Sieur de Bayard composée par le Loyal Serviteur, édité par la Société d’Histoire de France, Paris, édition J. Roman, 1878, (lien Gallica)

À lire :

Jean-Michel DASQUE, Le Chevalier Bayard, Paris, éditions-ellipses, 2018

Benjamin DERUELLE, Laurent VISSIÈRE, L’énigme Bayard. Une figure européenne de l’humanisme guerrier, Tours, Presses universitaires François Rabelais, 2021

Thierry LASSABATÈRE, Bayard, Le « Bon Chevalier », Paris, Perrin, 2024

 

Crédits images :

Illustration d’accueil : Henri-Félix-Emmanuel Philippoteaux (1815-1884), Le Chevalier Bayard défendant seul pendant près d’une heure l’entrée d’un pont sur le Carigliano pour protéger la retraite française battue à Cerignola dans les Pouilles en 1505, Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon © GrandPalaisRmn (Château de Versailles) / Gérard Blot

Illustration du chapô : Pierre Terrail de Bayard, “portrait d’Uriage”, premier quart du XVIe siècle, Stéphane Gal (dir.), Bayard : histoires croisées du chevalier, Presses universitaires de Grenoble, 2007 © Wikimedia Commons

Illustration de l’article : François Ier armé chevalier par Bayard, à Marignan (1515). Lithographie en couleurs par E. Crété d’après une illustration de H. Grobet, Histoire de France, Paris, Émile Guérin, 1902 © Wikimedia Commons

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