Mort de Sarah Bernhardt

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Par Jean-Claude Yon, directeur d’études à l’EPHE, spécialiste de l’histoire des spectacles


C’est au duc de Morny que celle qui fut l’une des plus grandes actrices françaises du XIXe siècle doit sa vocation théâtrale. Cependant, si le demi-frère de Napoléon III parvient à la faire entrer au Conservatoire en 1859, ses débuts sont laborieux. La jeune femme, mince et rousse, doit mener une vie de femme galante pour subsister. Elle ne commence à se faire un nom qu’en intégrant en 1866 l’Odéon où elle triomphe trois ans plus tard dans Le Passant, une comédie en vers de François Coppée.

Sarah Bernhardt, de Paris au monde entier

Après la guerre, une reprise de Ruy Blas en 1872 la met si bien en valeur qu’elle est appelée à la Comédie-Française où elle joue autant la tragédie classique (Phèdre notamment) que les répertoires romantique (Hernani) et contemporain (Feuillet, Dumas fils). À cette époque, Sarah Bernhardt jouit déjà d’une forte médiatisation, due à son mode de vie original, son caractère bien tranché et le cercle d’admirateurs qu’elle a su réunir autour d’elle. Mais les contraintes de la Comédie-Française l’insupportent et elle démissionne en 1880 de cette « maison de Molière » où elle n’a jamais été véritablement acceptée. La voilà libre de mener sa carrière comme elle l’entend.

<span style="font-size: 10pt;">Sarah Bernhardt dans <em>Phèdre</em>, Hearst Greek Theatre à Berkeley, Californie, le 17 mai 1906 © Library of Congress | WikiCommons</span>

Désormais, « Sarah » va se partager entre Paris et de longues tournées dont celles entreprises en Amérique du Nord en 1880-1881 (156 représentations dans 50 villes !) et en Europe en 1881-1882 (186 représentations en sept mois) constituent les prototypes. Celle que l’on surnomme « la muse ferroviaire » parcourt le monde entier, désireuse – selon ses propres termes – de « planter le verbe français au cœur de la littérature étrangère ». Elle est partout accueillie comme une star et l’hostilité des milieux conservateurs qu’elle doit parfois affronter ne fait que renforcer sa réputation de grande artiste et de femme émancipée.

Victorien Sardou et Edmond Rostand : deux auteurs pour une muse

En tournée, Sarah Bernhardt joue les pièces qu’elle a créées à Paris mais aussi un répertoire plus ancien (Adrienne Lecouvreur, La Dame aux camélias, Froufrou, Jeanne d’Arc) et la tragédie classique. Victorien Sardou et Edmond Rostand sont ses auteurs favoris. En 1882, Fédora, créé au Vaudeville, est sa première collaboration à succès avec Sardou ; suivront Théodora (1884), La Tosca (1887), Cléopâtre (1890), Gismonda (1894), La Sorcière (1903) – autant d’ouvrages écrits pour la mettre en valeur.

<span style="font-size: 10pt;">Sarah Bernhardt dans <em>Lorenzaccio</em> d'Alfred de Musset (1896) au théâtre de La Renaissance, affiche d'Alphonse de Mucha © Gallica</span>

C’est toutefois Edmond Rostand qui, après La Princesse lointaine (1895) et La Samaritaine (1897), lui offre son plus grand succès avec L’Aiglon (1900). Dans le rôle travesti du fils de Napoléon, elle triomphe pendant l’Exposition universelle de 1900. Si d’autres grands écrivains écrivent pour elle (Oscar Wilde, Salomé ; D’Annunzio, La Ville morte), l’actrice reste peu ou prou en marge des avant-gardes théâtrales. Elle n’en tient pas moins une place centrale dans la vie culturelle, ce dont témoigne la « Journée Sarah Bernhardt » organisée le 9 décembre 1896 au Grand Hôtel et au Théâtre de la Renaissance. Dreyfusarde, elle écrit à Zola au lendemain de la publication de « J’accuse » pour le remercier « au nom de l’éternelle justice ». Qu’importe que ses mauvaises relations avec la Comédie-Française l’empêchent d’être une figure « officielle » du monde des arts : magnifiée par le talent d’un Clairin et d’un Mucha, présente dans la vie quotidienne de ses contemporains par le biais de la publicité, sollicitée sans cesse par les journalistes, elle semble l’incarnation même du théâtre.

Du talent, et un tempérament hors-norme

Souhaitant avoir l’entière maîtrise de son art, Sarah Bernhardt prend la direction – personnellement ou à travers son fils Maurice – de différentes salles parisiennes : Ambigu-Comique, Porte-Saint-Martin, Renaissance. En janvier 1899, elle s’installe place du Châtelet, dans la salle ouverte en 1862 pour le Théâtre-Lyrique. Elle lui donne son nom et en transmet la direction à son fils en 1914. Dès 1900, celle qui a su habilement utiliser dès ses débuts la photographie avait accepté de tourner pour le cinéma. Le succès aux États-Unis d’Élisabeth, reine d’Angleterre (1912) est même à l’origine de la création des studios Paramount ! Décorée de la Légion d’honneur en 1914 (et promue officier en 1921), elle participe au Théâtre aux Armées durant la Première Guerre mondiale, malgré l’amputation de sa jambe droite en 1915. Sa mort, le 26 mars 1923, suscite une émotion universelle. Dotée d’une « voix d’or » et d’une présence physique exceptionnelle, Sarah Bernhardt est bien un « monstre sacré » (selon l’expression plus tardive de Cocteau) et elle a largement contribué à forger sa propre légende, notamment en publiant en 1907 ses mémoires (Ma double vie).

Portrait de Sarah Bernhardt par Jules Clairin en 1876 © Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris

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Illustration du dossier : Portrait de Sarah Bernhardt par Jules Clairin en 1876 © Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris

Illustration du chapô : Sarah Bernhardt par Nadar, 1864 ©  Collection Getty Center | WikiCommons

Illustration de l’article :

Bannière : Sarah Bernhardt en 1922  ©  Bain Collection | Wiki Commons

Texte : Sarah Bernhardt dans Phèdre, Hearst Greek Theatre à Berkeley, Californie, le 17 mai 1906 © Library of Congress /WikiCommons / Sarah Bernhardt dans Lorenzaccio d’Alfred de Musset (1896) au théâtre de La Renaissance, affiche d’Alphonse de Mucha © Gallica/BnF

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