Vie de Michel de l’Hospital

RETOUR AU DOSSIER

Par Loris PETRIS, professeur à l'université de Neuchâtel


Le 13 mars 1573, deux heures avant sa mort, Michel de L’Hospital se fait lire le testament qu’il a rédigé la veille, « avec tant de précipitation, note son gendre, que la grande surcharge de notes en rendait la lecture très difficile. Cependant le testateur, conservant tout le calme, toute la force de sa raison et de son caractère, avait, de sa main, indiqué toutes les fautes, me les avait fait décrire ; et, après une nouvelle lecture, il l’avait souscrit et signé » (trad. Brantôme).

Michel de L’Hospital, juriste et philologue

Jusque dans ses ultima verba, L’Hospital conservait les réflexes du juriste et du philologue qu’il fut, quatre règnes durant. Et, de fait, la minute autographe du testament, retrouvée il y a peu, montre les repentirs de ce chancelier de France, qui réécrit sa vie, de la disgrâce de son père lié au connétable de Bourbon à son ascension sous Henri II, grâce à la protection de Marguerite de France et des Guises, à son accession à la présidence de la Chambre des Comptes (1555) et enfin à l’office de chancelier (1560-1573), pour lequel il prêta serment le 6 mai 1560 à Chinon.

Les « nez de cire » de Michel de L’Hospital

Modéré en un temps de durcissement et de choix confessionnels, L’Hospital fut tiré à hue et à dia par l’historiographie : Bèze puis Bayle firent de lui un crypto-protestant qui « nage entre deux eaux », ses proches comme Pibrac un modéré dans la tempête, les Politiques puis les libéraux un laïque voire un athée anticlérical, les Lumières un « vrai philosophe » (Voltaire) et le sujet du concours d’éloge de l’Académie française en 1777, le XIXe enfin un apôtre de la liberté de conscience et un libéral. Les fortunes de L’Hospital furent multiples, comme autant de « nez de cire » (Denis Crouzet).

Unité du royaume et tolérance religieuse

L’Hospital réforma la justice, créa les tribunaux de commerce (1563), milita comme Montaigne pour des lois peu nombreuses mais appliquées, lutta contre les dépenses somptuaires et la cupidité juridique comme ecclésiastique et défendit l’idéal d’un roi intègre, engagé et accessible.

Selon l’ancien adage « Une foi, une loi, un roi », il défendit l’unité du royaume autour du roi, dont il réaffirma avec force l’autorité. Mais il sut aussi comprendre que cette cohésion devait passer, après l’échec du colloque de Poissy (1561), par une tolérance civile provisoire, qui reconnût, temporairement et faute de mieux, que « plusieurs peuvent estre cives, qui non erunt Christiani. Mesmes un excommunié ne laisse pas d’estre citoyen » (3 janvier 1562) : pour la première fois en France, sans que l’on puisse pour autant parler de laïcité moderne, l’appartenance civile est distinguée du choix religieux. Opposé à toute violence en matière religieuse, L’Hospital affirma l’idéal d’une vertu simple et active fondée sur l’idéal des premiers chrétiens. « Le cousteau vault peu contre l’esprit, si ce n’est à perdre l’ame ensemble avec le corps » martelle-t-il devant les Etats généraux fin 1560.

Un chancelier-poète

De son vivant, L’Hospital ne publia aucune œuvre mais fit habilement circuler des poèmes néolatins, en manuscrit ou en plaquette, se réservant toujours le droit d’en renier la paternité. Ses Carmina participèrent à une stratégie d’ascension autant qu’à un haut projet poétique et philosophique, où la voix littéraire devient outil d’investigation de soi, de questionnement du monde et de réflexion sur l’existence. D’abord tournés vers la relation à ses protecteurs (notamment Jean Du Bellay, François Olivier, Marguerite de France et Charles de Guise), ces poèmes évoluent peu à peu vers des mises en garde prophétiques annonçant les dangers sociaux et politiques. L’admonition s’y émancipe de l’éloge et s’adresse même au roi, dans le poème sur le sacre de François II (V, 8), traduit par Joachim Du Bellay puis par Charles Perrault ; mais elle laisse aussi apparaître une voix intime, qui se ressource et se définit dans le commerce intellectuel avec les Anciens. S’y développe une réflexion sur les valeurs nourrie des plus grands penseurs, d’Aristote à Erasme : la foi, la simplicité et la douceur évangéliques, la modération, la constance du juste qui « plus il se verra accablé et tourmenté, plus il se redressera » (VI, 2, 144-145), la décence, l’exigence de la vertu, la primauté du bien commun et le sacrifice des intérêts individuels.

« Tu t’es mis au service de la paix, du calme et du repos et tu as différé les malheurs » lui écrit l’helléniste Adrien Turnèbe en 1564, résumant déjà l’œuvre d’un chancelier-poète qui dut se retirer le 27 septembre 1568, laissant, comme il le déplore, la place aux armes. Dans son testament, il affirme avec force avoir « tousjours conseillé et persuadé la paix, estimant qu’il n’y avoit rien si dangereux en un pays qu’une guerre civille, ny plus proffictable qu’une paix, à quelque condition que ce fust ».

À lire :

Anonyme, Portrait du Chancelier de l’Hôpital, XVIe siècle © Gallica

Œuvres de Michel de L’Hospital :

L’Hospital, Michel de, Discours et correspondance. La plume et la tribune II, éd. Loris Petris, Genève, Droz, 2013

L’Hospital, Michel de, Carmina, t. I à VI (t. VII à paraître), dir. Perrine Galand et Loris Petris, éd. David Amherdt, Laure Chappuis Sandoz, Perrine Galand, Loris Petris et Ruth Stawarz-Luginbühl, Genève, Droz, 2014-2023

URL : www.unine.ch/micheldelhospital

Ouvrages critiques et historiques :

Crouzet, Denis, La Sagesse et le malheur. Michel de L’Hospital, chancelier de France, Seyssel, Champ Vallon, 1998

Michel de L’Hospital chancelier-poète, dir. Perrine Galand-Willemen et Loris Petris, Genève, Droz, 2020 URL : https://library.oapen.org/handle/20.500.12657/49797

Petris, Loris, La Plume et la tribune. Michel de L’Hospital et ses discours (1559-1562), Genève, Droz, 2002

Crédits photos :

Illustration de la page d’accueil : Anonyme, Portrait du chancelier Michel de L’Hospital, 2ème moitié du XVIe siècle © WikiCommons/Musée du Louvre

Illustration du chapô : Statue de Michel de L’Hospital par Louis-Pierre Deseine , créée en 1810, inaugurée en 1812 devant le Palais Bourbon © WikiCommons

Illustration de l’article : Lettre manuscrite signée Michel de l’Hospital © Gallica/BnF

Print Friendly, PDF & Email
Retour en haut