Mort de Jean Vilar

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Par Violaine Vielmas, agrégée de Lettres modernes, doctorante


Le  28 mai 1971, Jean Vilar s’éteint à Sète, la ville qui l’a vu naître cinquante-neuf ans plus tôt. Il est enterré dans le “cimetière marin” que Paul Valéry célèbre dans son poème. Alors qu’il retrouve solitude, mer, lumière et pierres brutes, il laisse derrière lui une œuvre collective et un legs encore bien vivant : un idéal et une pratique du théâtre populaire. Artiste et responsable d’une institution, il appartient à l’Histoire du théâtre autant qu’à l’Histoire sociale et politique de la France du XXe siècle.
Une rencontre décisive avec le théâtre
Pas de prédestination dans ce parcours obstiné et passionné : ses parents tiennent une bonneterie à Sète, lui font pratiquer le violon assidûment et se montrent intransigeants sur l’importance de l’éducation et de la culture. Le jeune Vilar se rêve écrivain et « monte » à Paris, dans un élan balzacien, à vingt ans. Mais la crise économique mondiale des années 1930 et son dénuement engendrent des années de misère : il gardera en mémoire ce que représente une vie de privations et l’argent restera un sujet sérieux dans sa pratique de directeur et d’artiste.

La rencontre avec le théâtre a lieu par hasard, à l’Atelier : Vilar assiste à une répétition de Richard III de Shakespeare avec Charles Dullin. Fasciné par la poésie qu’il découvre, il suit les cours de son nouveau maître qui lui confiera un poste de régisseur-adjoint et un logement au théâtre. Vilar se familiarise avec une pratique artisanale et collective, une esthétique sobre, au service du texte, et un jeu libre, inspiré de la méthode de Stanislavski. Il s’inscrit ainsi dans l’héritage de Copeau et du Cartel, pour l’ascétisme de son esthétique et son répertoire exigeant ; mais il s’en éloigne par sa volonté acharnée de mettre les grandes œuvres, classiques et modernes, à la portée de tous.

« Un idéal et une pratique du théâtre populaire »

Mobilisé en 1939, il est réformé à cause d’un ulcère : les soucis physiques ne cesseront plus et compliqueront souvent un travail effréné. Il intègre en 1941 une jeune troupe itinérante, La Roulotte, et part en tournée dans les provinces françaises. Il découvre les tréteaux nus et un public ouvrier et paysan. De retour à Paris, il joue La Danse de Mort et Orage (Strindberg) en 1943 ; il incarne le Destin dans Les Portes de la Nuit de M. Carné ; il fonde la Compagnie des Sept et interprète le Dom Juan de Molière. Le succès de Meurtre dans la Cathédrale (T.S. Eliot), créé en 1945, convainc le couple Zervos et René Char de l’inviter à le jouer lors d’une exposition d’art contemporain au Palais des Papes d’Avignon en 1947.

Mais, au lieu de la reprise attendue, il obtient l’accord pour trois créations inédites en France : Richard II (Shakespeare), Tobie et Sara (Claudel) et La Terrasse de Midi (Clavel). L’immensité de la Cour marque le retour aux grands espaces – proscenium antique ou vaste scène élisabéthaine –, au plein air, au théâtre décentralisé et au travail collectif d’une jeune troupe qui a tout à construire avec un budget modeste. Tous les membres, dont les débutants S. Monfort, M. Bouquet, J. Moreau, bientôt rejoints par G. Philipe, partagent les tâches quotidiennes. La « Semaine d’art » devient Festival l’été suivant, avancé de septembre à juillet, pour attirer une jeunesse qui lui restera fidèle. Vilar le dirigera jusqu’à sa mort.

Grand lecteur des Lumières, Malraux et Camus, il partage le sentiment de responsabilité sociale de l’artiste. Nommé directeur du Théâtre National Populaire en 1951, il affirme : « Le T.N.P. est, au premier chef, un service public. Tout comme le gaz, l’eau, l’électricité. »

T — Placer le grand répertoire à la portée de tous : prix des places réduit, suppression des pourboires, ouverture du théâtre à la sortie des usines et bureaux, repas sur place, liens constants avec les associations de travailleurs et de jeunesse.

N — Retrouver du lien, dans une société divisée, grâce à un répertoire méditant sur un humanisme moderne avec Corneille, Molière, Marivaux, Hugo, Beaumarchais, Musset, Balzac, Jarry, Claudel, Gide, Shakespeare, Kleist, Brecht, Büchner, Tchekhov, O’Casey…

P — « Notre ambition est évidente : faire partager au plus grand nombre ce que l’on a cru devoir réserver jusqu’ici à une élite. » En effet, en douze ans de direction, la troupe aura joué 3382 fois avec une moyenne de 1534 spectateurs par représentation.

En 1963, Vilar quitte le T.N.P., se consacre au Festival d’Avignon et quelques mises en scène lyriques. Malraux lui confie en 1968 un projet de réforme de l’Opéra qu’il abandonne, presque achevé, à la fin du mois de mai, refusant de collaborer avec le gouvernement De Gaulle. La contestation se prolonge au Festival 68 et affecte personnellement Vilar. Il consacre les derniers mois de sa vie à l’écriture, discipline solitaire après l’aventure collective, et tente de donner une forme au travail de toute une vie dédiée au théâtre populaire.

À lire :

FLEURY, Laurent, Le TNP de Jean Vilar. Une expérience de démocratisation de la culture, Presses Universitaires de Rennes, 2007.

LOYER, Emmanuelle, Le théâtre citoyen de Jean Vilar, PUF, Paris, 1997.

BAECQUE (de), Antoine, LOYER, Emmanuelle, Histoire du Festival d’Avignon, Gallimard, Paris, 2007.

Jean Vilar en Harpagon, par Agnès Varda

Crédits photos : 

Illustration de la page d’accueil : Portrait de Jean Vilar, 1959, par Agnès Varda © succession Varda

Illustration du chapô : Affiche de Jacno pour le TNP © Jacno

Illustration de l’article : Jean Vilar en Harpagon, par Agnès Varda © succession Varda

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