Mort de Fernandel

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Par André Ughetto, agrégé de lettres modernes, auteur de Fernandel, Le rire aux larmes


Fernandel – de son vrai nom Fernand Contandin – est né à Marseille le 8 mai 1903, second d’une famille de quatre enfants : trois frères, une sœur. M. Contandin père, employé de bureau en semaine mais passionné des feux de la rampe le samedi, le pousse à cinq ans sur la scène d’un théâtre où il suscite la joie du public : primum movens d’une longue carrière de chanteur (on connaît « Félicie aussi » !) et de comédien. Fernandel gagna son pseudonyme en fréquentant la sœur d’un collègue de travail qui lui avait trouvé un énième emploi dans une banque. Chaque fois qu’il rend visite à cette famille Manse, la mère d’Henriette annonce la venue du « Fernand d’elle ». Le surnom affectueux grimpera sur les affiches pour annoncer ses tours de chant. Il épouse Henriette en 1925. Elle lui donnera deux filles puis un garçon.

Du music-hall au cinéma : le triomphe comique

Dans le début des années 20, Fernandel fut d’abord un imitateur de Polin, vedette du comique troupier d’avant la guerre de 14-18. Le succès grandissant, il est appelé à la capitale, chante et joue à Bobino, puis au Concert Mayol. Le Tout Paris vient admirer les mimiques du « tourlourou ». C’est alors que le réalisateur Marc Allégret vient lui proposer un petit rôle au cinéma dans un film écrit par Sacha Guitry. Sans le faire tout de suite renoncer au music-hall, le cinéma – qui s’est mis à parler depuis 1927 – le happe définitivement (149 films au compteur).

La typologie de ses rôles joue d’abord sur une sorte d’infériorité sociale qui finit par se retourner à son profit. Il est ainsi le naïf Rosier de Madame Husson, en lieu et place d’une vertueuse « rosière » devenue introuvable, selon la nouvelle de Guy de Maupassant. Dans ces années 30, Fernandel fait plus que son compte de « service militaire », toujours comme soldat de 2e classe, que ce soit dans Les Gaîtés de l’escadron (Maurice Tourneur), où il croise Raimu et Jean Gabin, dans Un de la Légion (Christian-Jaque), ou dans l’opérette Ignace, dont la chanson éponyme reste dans les mémoires. Riant de leur armée, les Français sont disposés aussi à s’amuser de leur histoire : telle est la clef du succès de François Ier, (Christian-Jaque, 1936), avec un scénario qui n’est pas loin d’évoquer, quoiqu’à l’inverse, celui des Visiteurs (en 1993).

Les métamorphoses de Fernandel

C’est la rencontre, en 1934, avec Marcel Pagnol qui permet à Fernandel de montrer l’étendue de son talent. Il est d’abord le très émouvant ouvrier agricole d’Angèle, avant de devenir l’antipathique Gédémus de Regain. Après ces adaptations de romans de Giono (lequel confiera plus tard à Fernandel le soin d’incarner son Crésus paysan), Pagnol s’inspire de la vie même de Fernand pour écrire Le Schpountz, chef d’œuvre où le comique équilibre l’humain. La fille du puisatier, Naïs (scénarisé d’après un récit de Zola ), touchent également à l’excellence. Et pour finir Topaze (1950) – d’après une pièce de 1928 – est l’histoire d’un benêt exploité par des politiciens véreux, mais qui devient ensuite un escroc de haut vol. Ce dernier film avec Pagnol est un bon indice de la métamorphose de Fernandel à l’écran.

Julien Duvivier le veut en 1951 pour le rôle principal du Petit monde de Don Camillo. Il refuse d’abord, craignant de de ne plus interpréter que des rôles « en soutane », après celui du moine de L’Auberge rouge chez Claude Autant-Lara. Mais l’amitié l’emporte. Tournage en Italie, en extérieurs à Brescello, près de Parme, et dans les studios de Cinecittà à Rome. Ce sera son plus grand triomphe. La bagarre constante du curé avec son maire communiste (Peppone, joué par Gino Cervi) entrainera quatre autres épisodes, tirés des nouvelles de Giovanni Guareschi. C’est au cours du tournage d’un cinquième film, inachevé et perdu, que Fernandel, malade, rentre en France pour y mourir, en février 71.

Puissance empathique de l’acteur

Les enfants sont encore réceptifs au charme d’Ali Baba, qu’il incarne en 1954 pour Jacques Becker. « Mon père est devenu beau vers l’âge de 50 ans », répétait volontiers son fils Franck. L’homme « à la bouche de cheval », tel qu’il se définissait lui-même, devint peu à peu séducteur en de nombreux vaudevilles. Citons seulement Coiffeur pour dames et Le Couturier de ces dames, deux films de Jean Boyer, qu’on peut revoir…

On sait moins que Fernandel a pu interpréter des rôles sérieux, voire dramatiques : dans Meurtres ? (au sujet de l’euthanasie), La Table aux crevés, Le Fruit défendu, avec Françoise Arnoul, Le Voyage du père avec Laurent Terzief. La Vache et le prisonnier, d’Henri Verneuil, fut son dernier grand succès populaire. Tout à la fin, Heureux qui comme Ulysse d’Henri Colpi scelle sa dernière alliance avec un animal : ici le cheval qui emblématise son physique et le ramène à sa fonction de valet de ferme d’Angèle. Entretemps il aura connu, par tous les métiers que lui confèrent ses personnages l’ascension sociale à laquelle ont rêvé tant de Français « moyens ». Son succès durable provient de l’empathie qu’il savait éveiller chez les spectateurs de tous âges, obscurément touchés par le fait qu’il n’a jamais voulu tourner de film où la bonté et l’esprit de justice auraient été comme interdits de parole. Au fond, c’est son exemplaire humanité qui le retient dans notre souvenir.

À voir :

Le Schounptz, de Marcel Pagnol

Topaze, de Marcel Pagnol

L’Auberge rouge, de Claude Autant-Lara

Le Petit monde de Don CamilloLe Retour de Don Camillo, de Julien Duvivier

Le Couturier de ces dames, de Jean Boyer  

La Vache et le prisonnier, d’Henri Verneuil

À lire :

André Ughetto, Fernandel, Le rire aux larmes, éd. Hoëbeke, 2012

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