Mort de d’Artagnan au siège de Maastricht

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En cette année 1673, la soixantaine passée, Charles de Batz de Castelmore, comte d’Artagnan, était un homme arrivé. Mousquetaire sous Louis XIII, gentilhomme au service de Mazarin sous la Fronde, il s’était illustré comme officier des gardes françaises sur les champs de bataille de Louis XIV, avant de devenir capitaine-lieutenant de la première compagnie des mousquetaires, « la plus belle charge du royaume » selon Colbert. « Il se fit estimer à la guerre et à la Cour, observe Saint-Simon dans ses Mémoires, où il entra si avant dans les bonnes grâces du roi qu’il y a toute apparence qu’il eût fait une fortune considérable, s’il n’eut pas été tué devant Maëstricht en 1673. »

La demi-lune de la porte de Tongres

Dans la nuit du 24 au 25 juin de cette année-là, en effet, devant la place hollandaise, à la tête de deux régiments d’infanterie, de 300 grenadiers et d’une centaine de mousquetaires, d’Artagnan, « notre commandant si connu et estimé de tout le monde », écrivait dans ses Mémoires Quarré d’Aligny, avait grandement contribué à la prise de la demi-lune près de la porte de Tongres.

Au petit matin du 25, il fut relevé par MM. de Montbron et de La Feuillade, qui décidèrent de bâtir à la hâte une palissade le long de l’ouvrage en question. D’Artagnan s’y opposa, craignant que les pionniers ne fussent surpris par une contre-offensive ennemie. Vers huit heures du matin, il eut même une brève algarade à ce sujet avec Montbron, mais, finalement, n’étant plus de service, il laissa faire.

Au début de l’après-midi, alors qu’il prenait son repas en arrière des lignes, buvant « à la santé du roi », il entendit une forte détonation. Il comprit qu’un « fourneau » venait d’exploser sur la demi-lune et que c’était le signal de la contre-attaque. Peu après, en effet, la garnison hollandaise, conduite par le gouverneur Fariaux effectua une sortie en masse, culbutant les gardes françaises qui ne purent se maintenir qu’à l’extrémité de l’ouvrage fortifié.

D’Artagnan quitta aussitôt ses convives, courut au camp des mousquetaires, rassembla tous les renforts disponibles et arriva à la palissade, située à la gorge de la demi-lune. Le jeune duc de Monmouth, bâtard du roi d’Angleterre Charles II, qui servait dans l’armée française, voulut s’élancer à découvert. Pure folie ! se récria d’Artagnan, mais devant cette tête brûlée, il refusa de passer pour un couard. Il le précéda donc, afin de ne point laisser à un Anglais l’exemple de « la plus rare bravoure ». L’endroit était d’autant plus dangereux qu’à cause de cette palissade un seul homme à la fois pouvait passer.

Vue de la demi-lune de la porte de Tongres à Maastricht par Jan Brabant © Morreau, L.J., Bolwerk der Nederlanden. Assen, 1979, p.163 | WikiCommons

« L’action la plus courageuse […] qu’ils aient jamais vue de leur vie »

La demi-lune fut reprise après un feu d’enfer et un sanglant corps à corps au cours duquel aucun mousquetaire ne recula. « Quelques vieux généraux, raconte un témoin, lord Arlington, disent que c’est l’action la plus courageuse et la plus mouvementée qu’ils aient jamais vue de leur vie. »

Tué d’une balle de mousquet qui lui avait troué la gorge, d’Artagnan gisait au milieu du glacis, « étant reconnaissable à ses armes ». Il était si aimé de sa compagnie que quatre de ses hommes se firent tuer ou blesser pour ramener son corps. La nouvelle plongea l’armée dans une profonde affliction. « Si on mourait de chagrin, en vérité je serais mort, écrit encore Quarré d’Aligny (…). Si l’on n’eut pas travaillé à cette maudite barrière, il serait encore en vie, car ce qu’on avait fait se trouva tout juste contre nous et c’est en la franchissant qu’il reçut le coup qui le tua roide. Peu de gens auraient pris un parti aussi hasardeux que celui qu’il prit, mais en l’état où étaient les choses – malgré ce que les courtisans en disaient, que c’était une témérité de jeune homme -, la grande valeur de M. d’Artagnan et des braves mousquetaires a acquis Maëstricht au roi… »

Pellisson, historiographe de Louis XIV, confirme qu’il fut unanimement pleuré, en particulier par le monarque, qui parla « avec beaucoup d’estime et de douleur ». À son intention, celui-ci fit dire une messe de requiem sous sa tente. Le 3 juillet, il évoquait encore sa mémoire, le louant « de ce qu’il était presque le seul qui eût trouvé moyen de se faire aimer des gens, en ne faisant pas des choses extrêmement obligeantes pour eux, voulant parler de M. Fouquet, qu’il avait gardé avec beaucoup d’exactitude, et de M. d’Humières dont il avait occupé la place ». « Madame, avait-il écrit à la reine, j’ai perdu d’Artagnan en qui j’avais la plus grande confiance et qui m’était bon à tout. » Pouvait-on, pour un mousquetaire du roi, rêver de plus belle oraison funèbre ?

Vue du camp de l’armée française devant Maestricht, le 29 juin 1673 © WikiCommons

 

À lire :

Moi, Pierre Quarré, comte d’Aligny, mousquetaire du roi, Mémoires, Vuibert, 2015, préface d’O. Bordaz, postface d’Etienne de Planchard de Cussac.

Jean-Christian PETITFILS, Le Véritable d’Artagnan, Tallandier/Texto, 2002, 2010.

Odile BORDAZ, Sur le chemin de d’Artagnan et des mousquetaires, Balzac, 2005.

 

 

Crédits photos : 

Illustration du dossier : Louis XIV au siège de Maastricht (1673), Adam Frans van der Meulen © WikiCommons 

Illustration du chapô : Frontispice de l’édition de 1704 des Mémoires de Monsieur d’Artagnan © Pierre Marteau, Cologne, 1701-1702 | WikiCommons 

Illustration de l’article : Prise de Valenciennes par les Mousquetaire en 1677, Jean Alaux (1837) © Galerie des Batailles du Château de Versailles | WikiCommons 

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