Vie de Blaise Pascal

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Par Pierre Lyraud, ancien élève de l'École Normale Supérieure de la rue d'Ulm, agrégé de lettres classiques et docteur en littérature française


Comment rendre compte d’une vie aussi riche – et fulgurante – que celle de Blaise Pascal, né le 19 juin 1623, mort le 19 août 1662 ? Puisque son histoire est aussi (surtout ?) l’histoire des quelques livres et des projets inachevés (plus nombreux) qu’il nous a légués, prenons-les pour repères.

Les traités scientifiques de Pascal

 La science aura été, à bien des égards, la grande affaire de sa vie. C’est en 1640, à seize ans, que Pascal vient à l’écriture avec un Essai pour les coniques, qui porte la trace de ses premières amours. C’est déjà tout un programme pour l’avenir : le souci de la généralisation, la considération des progrès les plus actuels, le goût du bref. Au printemps de la même année, à Rouen, Blaise aide son père, missionné pour une réorganisation fiscale, en inventant une machine arithmétique. À Rouen, toujours, père et fils entrent dans la « querelle du vide » : la nature a-t-elle, selon l’adage scolastique, horreur du vide, ou le vide est-il possible ? Les travaux de Galilée et de Torricelli sont déjà parvenus en France, mais beaucoup reste à faire. Suit une série de textes remarquables : les Expériences nouvelles touchant le vide, le Récit de la grande expérience des liqueurs, qui se concentre sur le rôle exact de la pression atmosphérique, ou encore une importante préface à un Traité du vide perdu ou détruit, où l’on voit l’extraordinaire promotion accordée par le jeune savant à l’expérimentation. En 1654, alors qu’il continue ses recherches systématiques sur le vide, il chemine avec son ami Fermat en direction d’une « géométrie du hasard » qui érige la probabilité mathématique en discipline, et il réfléchit l’année suivante à l’ordre de la démonstration géométrique. L’intensité mathématique reprend au second semestre 1658, et de façon spectaculaire : Pascal s’attèle au dossier de la cycloïde, qui engendre des problèmes mathématiques redoutables. En sortent en février 1659 les Lettres de A. Dettonville. L’infini en ses réalisations géométriques et le hasard en sa capacité de modélisation : tels auront peut-être été les deux grands objets de la science pascalienne.

De la science aux écrits théologiques

Pourquoi ce hiatus, entre 1654 et 1658, et pourquoi ce silence scientifique après 1658 ? Il semble, si l’on suit les lettres de ses sœurs, que le dégoût du monde, venu d’une foi qui se fait plus ardente, et de longs mois de maladie – maladie de l’âme et maladie du corps – ont sollicité le cœur de Pascal, comme ils l’avaient sollicité en 1646, une première fois, alors qu’il se trouvait à Rouen. Dans la nuit du 23 au 24 novembre 1654, surtout, il se décide à l’« oubli du monde et de tout hormis Dieu » : c’est la célèbre « nuit de feu », qui conclut un an de réflexion. L’année 1655 en porte la trace : Pascal écrit sans doute l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ, splendide concorde fragmentée des Évangiles, puis commence un travail théologique érudit (les Écrits sur la grâce). Et alors qu’il est plongé dans ces dossiers, son ami Arnauld risque la censure de la Faculté de la théologie pour avoir défendu l’Augustinus. Une partie de l’Europe s’agite à ce sujet, car la question n’est autre que celle de l’articulation de la grâce et de la liberté : dans quelle mesure l’homme participe-t-il de son salut ? Pascal aide ses amis de Port-Royal avec l’écriture des Provinciales, défense de la position de Jansénius (celle d’une grâce libérant l’homme à mesure qu’elle entraîne sa volonté) en même temps que satire féroce des accommodements laxistes des pères jésuites.

Une œuvre à la fois littéraire et spirituelle

Entretemps, manifestation du « Dieu caché ». L’une des filles de Gilberte, Marguerite, qui souffre depuis 1652 d’une terrible fistule lacrymale, est guérie à l’attouchement d’une épine de la couronne du Christ le 24 mars 1656. De ce « coup extraordinaire » s’élève la nécessité d’y répondre – à la grâce de Dieu, une action de grâce. Ce sera une partie de ce que l’on appelle désormais les Pensées. D’abord réflexion sur les miracles, le projet évolue vers une réfutation des raisonnements athées. Mais la polémique est traversée par une force plus grande encore : celle que constitue l’appel à la conversion, fondé sur la certitude que la seule vie heureuse est en Dieu. Jusqu’à l’été 1662, Pascal travaille, par périodes, à ce projet qui ne verra jamais le jour. Dans l’orbite de cette impulsion enflammée, il faut placer ses écrits spirituels, qui culminent sans doute en 1660 avec l’écriture de la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies, méditation sur le salut, seule Santé qui vaille, et sur la condition perpétuellement mendiante de l’homme chrétien avant le flamboiement du Jugement. Chacun des projets spirituels est une œuvre littéraire ; chaque entreprise atteste l’éclat d’un écrivain qui se fait tour à tour polémiste et exégète, tragique et comique, grave et burlesque. Mais qu’on ne se méprenne pas : la vie de Pascal n’est pas en deux morceaux, la science d’un côté, la foi de l’autre. Tentons plutôt d’y voir un entrelacs et une tension : la science a donné au cœur des objets à méditer, autant qu’elle a pu, parfois, l’éloigner de l’essentiel. Jusqu’au bout, Pascal s’est soucié de leur articulation, de leur juridiction propre : il reconnaît la puissance de la raison en même temps que ses limites ; il invite à se défier des superstitions, et à craindre les hyper-rationalismes.

Amitié pascalienne

Rien ne justifie enfin la légende d’un Pascal « misanthrope » : comment pourrait-on le dire de celui dont quasiment toutes les œuvres sont adressées, tendues vers des destinataires qu’il veut aider, dans l’ordre de la charité (les lettres à Charlotte de Roannez) ou dans l’ordre de la société (Discours sur la condition des Grands) ? Comment pourrait-on le dire de celui qui ne cessa, jusque dans les derniers mois, à correspondre, à fréquenter, quand il le pouvait, ses amis ou ses connaissances ? Comment pourrait-on le dire de celui qui consacra ses dernières années à la réalisation d’un service de transports en commun, pour aider les plus pauvres ? Remplaçons la tristesse pascalienne par son amitié : le vrai ami n’est-il pas, selon une des plus belles pensées, celui qui peut répondre, malgré nous s’il le faut, à « tous les besoins de la vie » ?

À lire :

Œuvre de Pascal :

Blaise Pascal (éd. Laurence Plazenet, Pierre Lyraud), L’œuvre, Paris, Bouquins, 2023

Ouvrage critique :

Pierre Lyraud, Pascal, Paris, Éditions du Cerf, coll. « Qui es-tu ? », 2023

 

 

Crédits image : Illustration d’accueil : portrait présumé de Blaise Pascal (1623-1662), savant et écrivain. Vers 1650. Anonyme. © Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris

Illustration du châpo : Manuscrit Pensées sur la religion © Gallica/ BNF

Illustration d’article : billet de 500 francs © Lucien Fontanarosa,, illustrateur, Robert Armanelli, graveur, Claude Durrens, graveur, Banque de France, Cote : GRA N 119, 1981 Collection Bibliothèque du Patrimoine.

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