Massacre de la Saint-Barthélemy

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Par Hugues Daussy, professeur d’histoire moderne à l’Université de Franche-Comté


Le 18 août 1572, le cardinal de Bourbon reçoit à Notre-Dame le consentement d’Henri de Navarre, chef du parti huguenot, et Marguerite de Valois, sœur du roi de France Charles IX. Laborieusement négociée par Catherine de Médicis avec Jeanne d’Albret, cette union doit sceller durablement la paix confessionnelle rétablie depuis l’édit de Saint-Germain, qui a mis un terme à la troisième guerre de religion en août 1570.

Un mariage princier, et Paris sous tension

Pourtant, malgré la splendeur des célébrations ordonnées par la monarchie, la liesse ne règne pas à Paris. Nombre de catholiques sont scandalisés par ce mariage bigarré, mais aussi par les dépenses insensées qu’il suscite. Enragés contre les huguenots qui ont investi la capitale à l’occasion de ces festivités, les curés parisiens vomissent quotidiennement dans leurs prêches leur haine de l’hérésie, laissant flotter dans l’atmosphère un climat palpable de tension. Pourtant, rien ne laisse alors présager que, dans quelques jours, un enchaînement improbable d’événements va transformer ce mariage en noces de sang.

Le ciel parisien, où règne une chaleur lourde, n’est donc déjà pas sans nuages lorsqu’il est déchiré par un coup de tonnerre. Il est environ onze heures, en cette matinée du 22 août 1572, lorsque Coligny quitte le Louvre où il vient de siéger au Conseil. Escorté par une quinzaine de gentilshommes, il regagne son logis à pied. Alors que le petit cortège s’avance rue des Poulies, une détonation retentit. L’amiral vient d’être blessé, touché à la main droite et au bras gauche par un coup d’arquebuse tiré depuis la fenêtre d’une maison voisine. Transporté jusqu’à son hôtel de la rue de Béthisy, Coligny reçoit le soutien du roi Charles IX qui l’invite à venir loger au Louvre afin de garantir sa sécurité, ce que l’amiral doit refuser en raison de son état qui rend son transport périlleux.

De l’attentat contre Coligny au déchaînement de la fureur populaire : une dynamique implacable

Pour des raisons qui sont longtemps demeurées incompréhensibles, et en apparente contradiction avec cette marque de soutien, Charles IX prend une décision d’une grande gravité le lendemain soir, 23 août, lors d’un Conseil secret tenu au Louvre. Il ordonne l’exécution d’un nombre déterminé de gentilshommes huguenots, faisant sans doute dresser une liste en tête de laquelle figure le nom de Coligny. En quelques heures, au petit matin du 24 août, le plan d’action promptement exécuté cause la mort de la plupart des grands seigneurs huguenots. L’amiral est le premier à succomber sous les coups des meurtriers, son corps défenestré tombant aux pieds du duc de guise qui conduit l’escouade royale chargée de l’occire. Puis les assassinats s’enchaînent, jusque dans le Louvre même, où les gentilshommes de la suite du roi de Navarre et du prince de Condé ne sont pas épargnés, les deux cousins ne devant la vie qu’à la promesse qu’ils font alors de se convertir au catholicisme. Ainsi disparaissent, en un éclair, une trentaine de personnages parmi les plus éminents de la noblesse huguenote, auxquels il faut peut-être encore ajouter environ quatre-vingt gentilshommes de moindre qualité. Quelques autres, plus chanceux, réussissent à s’enfuir.

Dans les heures qui suivent, la tuerie prend une tournure incontrôlable. Alertés par le vacarme causé par l’exécution des nobles réformés, les fidèles qui viennent d’assister à l’office des matines craignent une sédition huguenote. À Saint-Germain l’Auxerrois, le tocsin retentit afin de donner l’alarme et la population parisienne se lance dans une chasse féroce au huguenot qui fait peut-être 3 000 morts, contre la volonté de Charles IX qui ne parvient pas à enrayer la dynamique implacable d’une foule désireuse de purifier le royaume de la souillure hérétique.

Les incohérences de Charles IX et la difficile interprétation politique de l’événement

Que s’est-il passé pour que Charles IX ordonne le massacre des chefs du parti huguenot après avoir offert sa protection à Coligny ? Les historiens se sont longtemps interrogés et ont émis toute une série d’hypothèses, de la légende noire de Catherine de Médicis, qui aurait prémédité le drame en organisant un mariage seulement destiné à attirer les gentilshommes réformés dans un piège, à la théorie du roi contraint à agir par des menaces de guerre et de soulèvement populaire proférées par l’ambassadeur d’Espagne et le duc de Guise, en passant par une décision prise par le monarque pour mettre un terme aux guerres civiles en décapitant opportunément, mais sans préméditation, le parti huguenot.

La réalité est différente et tout s’est joué en quelques heures. Persuadée que les Guise n’étaient pas étrangers à la tentative d’assassinat contre Coligny, l’élite de la noblesse réformée s’est empressée de demander justice au roi. Navarre et de Condé ont immédiatement obtenu la constitution d’une commission d’enquête, mais cette mesure n’a pas suffi à apaiser la colère des gentilshommes huguenots qui ont fait le siège de Charles IX afin qu’il sévisse contre le duc Henri de Guise, dont la culpabilité leur semblait certaine. Mécontents du refus opposé par le roi, ils ont commis de graves imprudences. Dans l’après-midi du 22 août, mais aussi tout au long de la journée du 23, plusieurs d’entre eux ont multiplié les bravades, proclamant leur intention de faire justice eux-mêmes. Leurs propos sont allés très loin, trop loin, jusqu’à la menace. Au besoin, ils n’hésiteraient pas à venir tuer Guise au Louvre même, même aux pieds du roi et jusque dans ses bras, sans en avoir reçu l’ordre du souverain ! Ces proclamations, qui portaient atteinte à la souveraineté et à la Majesté royales, ont fait grimper la température de la cour jusqu’au point de fusion. Soudainement, la mémoire conservée par Charles IX des affronts qui lui avaient été précédemment infligés par les huguenots est remontée à la surface. La fuite nocturne et humiliante de Meaux face aux troupes huguenotes en septembre 1567, l’attitude arrogante de Coligny au Conseil au cours des mois précédents et même le souvenir plus lointain de la conjuration d’Amboise lui sont revenus à l’esprit. La crainte d’une prise d’armes huguenote dans la capitale, aux portes du Louvre, peut-être dans l’enceinte même du palais, l’a alors conduit à ordonner une mesure radicale dictée par l’urgence afin de neutraliser ces hommes qu’il estimait menaçants pour son autorité. Il a alors eu recours à l’exercice de sa justice retenue, procédant par voie extraordinaire afin d’ordonner leur exécution sans autre forme de procès.

Le massacre de la Saint-Barthélemy, qui a ensuite dégénéré en une tuerie aussi incontrôlable qu’indépendante de la volonté du roi, est ainsi le fruit d’une succession de circonstances aussi funestes qu’imprévisibles, aux antipodes de la légende noire qui a longtemps imprégné l’imagerie populaire de l’événement et régné dans les livres d’histoire.

À lire :

Jean-Louis Bourgeon, L’assassinat de Coligny, Genève, Droz, 1992.

Denis Crouzet, La nuit de la Saint-Barthélemy. Un rêve perdu de la Renaissance, Paris, Fayard, 1994.

Hugues Daussy, Le parti huguenot. Chronique d’une désillusion (1557-1572), Genève, Droz, 2014.

Arlette Jouanna, La Saint-Barthélemy. Les mystères d’un crime d’État, Paris, Gallimard, 2007.

Crédits photos : 

Illustration de la page d’accueil : Le massacre de la Saint-Barthélemy, par François Dubois (dernier quart du XVIe siècle) © WikiCommons / Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne

Illustration du chapô : 1593 : Henry IV abjure le protestantisme à Saint-Denis, peinture anonyme  © WikiCommons / Musée de Pau

Illustration de la notice générale : Massacre de la Saint-Barthélemy, estampe © Gallica / BnF

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