Luçon, « l’évêché crotté » de Richelieu

RETOUR AU DOSSIER

Article de Françoise Hildesheimer, archiviste-paléographe, Conservateur général du Patrimoine


Situé en Bas-Poitou à proximité du golfe des Pictons, Lucio, village de pêcheurs, était relié à l’océan par un canal, tandis qu’à l’époque médiévale, les marais qui l’entouraient avaient été aménagés par les moines. Un monastère y avait été fondé au VIIe siècle par saint Philibert. Deux seigneurs s’y partageaient le pouvoir, un baron laïc, d’une part, l’abbé, puis à partir du XIVe siècle l’évêque, d’autre part. En effet, par la bulle Salvator Noster du 13 août 1317, Jean XXII avait démembré le diocèse de Poitiers et créé les évêchés de Luçon et de Maillezais. La petite cité s’est alors développée autour de trois pôles : le port, le siège épiscopal, le point de passage des Sables-d’Olonne à Fontenay-le-Comte.

La Renaissance trouve à s’épanouir dans la région, notamment à Fontenay-le-Comte avec un notable foyer humaniste. La Réforme y rencontre un terrain favorable : de puissantes familles, comme les Rohan et plus de la moitié des seigneurs se convertissent ; de plus, en provenance de La Rochelle toute proche, les marchands colportent les idées nouvelles. À trois reprises, en 1562, 1568, 1569, les guerres de Religion sévissent : des bandes de brigands terrorisent le pays, églises et abbayes sont pillées et saccagées, les paysans fuient, champs et canaux sont à l’abandon. En 1598, l’édit de Nantes laisse aux protestants trois places fortes dans le diocèse (Beauvoir, Talmont et La Garnache). En ville, l’église Saint-Philibert est complètement détruite, la cathédrale dévastée n’est plus utilisable, le palais épiscopal n’est plus habitable. Luçon n’est qu’un bourg de moins de 3000 habitants, noyé au milieu des marais dont les rues non pavées se transforment en bourbier à la première pluie.

Depuis 1584, l’évêché constituait un élément du patrimoine de la famille du Plessis, et quand, en 1602, le deuxième fils, Alphonse, en décline la charge, c’est au troisième Armand-Jean, jusque-là destiné au métier des armes, que revient une fonction épiscopale qui assure à sa famille une grande part de ses ressources. Il la stigmatisera par un jugement suggérant un séjour plus imposé par la nécessité que choisi pour son agrément : « Je vous puis asseurer que j’ay le plus vilain évesché de France, le plus crotté et le plus désagréable… ».

Peuplé de 100 000 habitants à peine, l’évêché, dont le jeune prélat prend possession en 1608, compte 428 cures, 13 abbayes, 48 prieurés, 357 chapelles, 7 chapitres et 10 maladreries ; le revenu en est de 13 000 livres par an. L’absence d’un évêque résident a eu pour conséquence le relâchement du clergé. C’est donc par une action de restauration que Richelieu entreprend d’affirmer son autorité en mettant en œuvre les directives du concile de Trente. De 1609 à 1615, il est régulièrement présent et travaille à relever les ruines, à restaurer la discipline du clergé, à instruire les fidèles et lutter contre l’hérésie. Il visite son diocèse et écrit un « catéchisme » dit « de Luçon » (L’instruction du chrétien). En 1611, il crée l’un des premiers séminaires de France en faisant appel à la congrégation des oratoriens fondée par le Père de Bérulle, et recourt aux services des capucins (et à cette occasion entre en contact avec le père Joseph) pour la création de deux couvents, aux Sables-d’Olonne et à Luçon.

Il y a là autant de tâches qui lui donnent l’occasion de faire la preuve de ses capacités, et même d’étendre sa réputation au-delà de son diocèse. En 1614, c’est bien sa fonction épiscopale qui lui permet d’accéder aux États généraux comme représentant du clergé et de se faire remarquer par la reine régente, Marie de Médicis. À partir de cette date, au fur et à mesure qu’il s’engage dans la voie du pouvoir, il s’éloigne progressivement et le 19 mai 1623, devenu cardinal, renonce à l’évêché de Luçon.

Le bilan que l’on peut alors dresser de son action pastorale est nuancé. Richelieu a donné l’impulsion et ses directives s’appliqueront peu à peu, d’abord dans les abbayes puis dans les cures, mais il restera des résistances, notamment de la part des détenteurs de bénéfices qui ne voudront plus financer le séminaire qui disparaitra dès 1625. De surcroît, les ravages causés par les guerres ne sont pas terminés car les protestants, prenant prétexte de la volonté de Louis XIII de rétablir le culte catholique dans le Béarn, avaient repris les armes dans les années 1620.

Mais on ne saurait imaginer une évocation de Luçon qui ignorerait Richelieu, tant le destin du futur cardinal-ministre est indissociable de son expérience épiscopale vendéenne. S’il a durablement estampillé son diocèse d’une appellation peu louangeuse, Monsieur de Luçon y a trouvé un terrain d’action remarquable : grâce à son bref passage il a acquis une pratique d’administrateur ainsi qu’une bonne connaissance du problème protestant, et s’est forgé une réputation de politique habile. Avec l’évêché « crotté » de Luçon, l’Église lui a finalement offert une carrière plus rapide et plus valorisante que n’aurait pu le faire celle des armes à laquelle il était initialement destiné.

À lire :

Joseph BERGIN, « L’Évêché crotté », dans La Légende de Richelieu, Paris, Somogy, 2008, p. 168-175.

Alain CASTET (dir.), Vendée – Luçon, Maillezais, Saint-Laurent-sur-Sèvre – La grâce d’une cathédrale, La Nuée bleue, 2017.

Françoise HILDESHEIMER, « De l’évêque crotté au cardinal-ministre », dans De Richelieu à Grignon de Montfort. Le XVIIe siècle en Vendée, Paris, Somogy, 2005, p. 46-65.

Marie-Thérèse REAU, Luçon ville épiscopale. Urbanisme, architecture et mobilier, Cahiers du patrimoine, 107, 2014.

Dominique THIERCELIN, « Le Diocèse de Luçon. 1608-1623 », dans Recherches vendéennes, n° 16, 2009, p. 341-420.

Crédits images :

Illustration d’accueil : Jean-Baptiste Nolin, Le Royaume de France avec ses acquisitions divisée en gouvernements de provinces, 1600-1725 © Gallica/BnF

Illustration de la bibliographie : Lucien Lacroix, Richelieu à Luçon, sa jeunesse, son épiscopat, 1890 © Gallica/BnF

Print Friendly, PDF & Email
Retour en haut