Colonne, vu par la «gobette» de Montigny

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Extrait de Claudine à Paris, de Colette (1901)


Dans cet extrait du roman Claudine à Paris de Colette,  la jeune Claudine, fraîchement arrivée à Paris, se rend au concert de l’orchestre Colonne au théâtre du Châtelet.

C’est mal éclairé. Ça sent le crottin. Pourquoi ça sent le crottin ? Je le demande tout bas à Marcel qui me répond : « C’est parce qu’on joue Michel Strogoff tous les soirs. » L’oncle Renaud nous installe dans des fauteuils de balcon, au premier rang. Un peu froncée d’être si en vue je regarde farouchement autour de moi, mais on y voit mal en venant du grand jour, et je me sens à mon avantage. C’est égal, il y en a des dames ! Et elles font un « raffut » ! Ces portes de loges qui claquent, ces chaises remuées – on se croirait à l’église de Montigny, où personne ne s’occupait jamais de ce que l’abbé Millet disait en chaire, ni même à l’autel.

Cette salle du Châtelet est grande, mais banalement laide ; les lumières rougissent dans un halo de poussière. Je vous dis que ça sent le crottin ! Et toutes ces têtes, en bas – noires celles des hommes, fleuries celles des femmes -, si je leur jetais du pain, à ces gens, est-ce qu’ils ouvriraient la bouche pour l’attraper ? Quand donc va-t-on commencer ? Mon cousin l’Oncle, qui me voit tremblante et pâle, me prend la main et la garde entre ses doigts en signe de protection.

Un monsieur barbu, les épaules un peu en « digoinche », s’avance sur la scène, et des applaudissements (déjà !) arrêtent le si désagréable tumulte des bavardages et des instruments qui s’accordent. C’est Colonne lui-même. Il fait toc-toc sur son pupitre avec un petit bâton, inspecte ses administrés d’un regard circulaire, et lève le bras.

Colette, Claudine à Paris, 1901.

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