Loi fixant au 11 novembre la « commémoration de la victoire de la paix »

RETOUR AU DOSSIER

Par Rémi Dalisson, professeur des Universités, Rouen-Normandie, Grhis.


Lorsque les députés adoptent la loi du 24 octobre 1922 stipulant que « la République française célèbre annuellement la commémoration de la victoire et de la paix […] le 11 novembre, jour anniversaire de l’armistice (qui) […] sera férié », ils n’imaginent pas fonder une pratique commémorative qui dure encore, y compris après la loi de 2012.

Hésitations sur la mémoire de 14-18

Si la date du vote du texte semble tardive pour une guerre aussi terrible que longue, c’est que le consensus né dans les tranchées se brise dès la victoire obtenue. En demandant d’annuler celle du 9 novembre 1921 fixant la commémoration de la Grande Guerre au 11 novembre si c’est un dimanche ou le dimanche suivant pour éviter de perdre un jour de travail, texte qui complétait celui d’octobre 1919 prévoyant des cérémonies les 1er-2 novembre, la loi de 1922 montre les hésitations du pays sur la mémoire de 14-18.

Les Anciens combattants sont en effet vent debout devant ces décisions qui ne rendent pas le 11 novembre férié et permettent de célébrer un autre jour que son anniversaire. C’est pour eux une telle atteinte à leur mémoire et à leur souffrance qu’ils font parfois la grève de la célébration en 1921 et menacent de boycotter les cérémonies de l’année suivante. Le pouvoir issu de la chambre « bleu horizon » ne peut tolérer un tel affront risquant de le décrédibiliser dans un pays hanté par le souvenir du traumatisme de la guerre et devenu un « cercle de deuil » rassemblant les deux-tiers des Français.

Une commémoration du recueillement

Et derrière ces querelles de dates se cache l’enjeu du sens de la nouvelle fête nationale, la troisième du pays après le 14 juillet et la fête Jeanne d’Arc dite « du patriotisme ». Si le pouvoir entend y célébrer avec faste la victoire de ses valeurs et de l’armée, les Anciens combattants et leurs puissantes associations (3 millions de membres) refusent d’en faire une célébration glorieuse, positive et militarisée. Pour eux, et c’est ce qui est finalement retenu, le 11 novembre doit être une commémoration sobre et silencieuse du recueillement, de la fraternité devant la douleur et la mort, une célébration pédagogique de la Der des Der, sans armes, et avec pour seul message la détestation de toutes les guerres.

On comprend alors que son rituel soit bien plus centré sur les anciens Poilus souffrants que sur les valeurs positives du régime. Certes, on célèbre la victoire des armes, mais elle passe vite au second plan devant les nouvelles pratiques. La célébration s’articule autour des monuments aux morts qui se multiplient, des messes qui recréent l’union du front, des défilés d’associations souvent précédées des « gueules cassées », du « bleuet de France » et de la Marseillaise sur fond de discrétion des pouvoirs publics qui ne parlent pas. Seuls les survivants le font pour évoquer l’horreur de la guerre, avant que la journée ne s’achève au monument au morts « pour la France ». Devant lui les drapeaux s’inclinent, les gerbes sont déposées avant ou après l’appel aux morts puis, plus tard, la sonnerie aux morts et la minute de silence, forme laïcisée de prière qui recrée l’unité autour du deuil. Dès lors, malgré des divergences d’interprétation entre les groupes politiques, l’anniversaire de l’armistice est partout bien célébré, même dans les colonies, en mettant en scène la douleur, le deuil et la paix.

Le risque de dilution du souvenir de la Grande Guerre

Tout change après le second conflit mondial dont la mémoire concurrence celle de 14-18. Le 11 novembre connait alors un lent déclin et seuls les anciens Poilus, les officiels et les enfants des écoles continuent d’y être fidèles, notamment autour du Soldat inconnu. En outre, la disparition des derniers poilus en 2008 et la multiplication des célébrations officielles affadissent le souvenir de la Grande Guerre dont le rituel perd de son sens auprès des jeunes générations.

C’est pourquoi une nouvelle loi est votée le 20 février 2012 transformant le 11 novembre de 14-18 en une cérémonie plus large d’hommage à « tous les morts pour la France » passés, présents et à venir, notamment ceux des OPEX (opérations extérieures). La commémoration devient une sorte de Memorial Day à l’américaine, tout en gardant le rituel fixé en 1922, mais en honorant à présent une armée qui n’est plus de conscription et des opérations souvent sous commandement international. Cette rénovation va de pair avec l’inauguration en 2019 d’un monument aux morts en OPEX et pose la question du risque de la dilution du souvenir de la Grande Guerre dans une cérémonie mélangeant les hommages à des conflits de natures bien différentes.

À lire :

DALISSON Rémi, 11 novembre du souvenir à la mémoire, Paris, Armand Colin, 2013.

PROST Antoine, « Le sens de la guerre : les monuments aux morts de 1914-1918 en France », in S. Claisse, T. Lemoine (dir.), Comment (se) sortir de la guerre ? Paris, L’Harmattan, 2005, p.11-36.

CAPDEVILLA Luc, VOLDMAN Danièle, Nos morts. Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre, XIXe-XXe siècles, Paris, Payot, 2002.

Crédits photos : 

Illustration de la page d’accueil : M.Millerand place de l’Étoile pour les célébrations du 11 novembre 1922, agence Rol © Gallica / BnF

Illustration du chapô : Affiche de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, éditée pour les cérémonies du 11 novembre 1959 © Archives municipales d’Aix-en-Provence

Illustration de la notice générale : Hôpital militaire français pendant la Première Guerre mondiale (carte postale ancienne) © Wikicommons

Print Friendly, PDF & Email
Retour en haut