Jean d’Ormesson, le « romancier sans roman »
RETOUR AU DOSSIERPar Héloïse d'Ormesson, éditrice
Né le 16 juin 1925 à Paris, Jean d’Ormesson s’est réfugié dans les mots pour éclairer ses gouffres (« J’écris parce que quelque chose ne va pas », dira-t-il) et chanter son amour espiègle et curieux de la vie. Au fil de ses livres, il n’a cessé de se raconter, non sans facétie, et de s’y dévoiler, souvent masqué. Cédons-lui la parole et puisons dans la quatrième de couverture de C’était bien, paru en 2003 :
« Sur une terre périssable, j’ai aimé les livres. Les livres ont été la grande affaire de mon existence passagère dont je parle avec distance et gratitude. Gratitude envers qui ? Émerveillé par le jeu sans trêve du hasard et de la nécessité, enchanté par un monde que j’ai parcouru d’un bout ou l’autre (avec une préférence pour la Méditerranée), je crois à un ordre des choses dont j’ignore le sens. Avec une allégresse ironique et un peu mélancolique, je communique au lecteur trois sentiments que j’éprouve avec force : la stupeur devant l’univers, l’effroi devant l’histoire, la ferveur devant la vie ».
Pourtant, comme l’écrit très justement Marc Fumaroli dans la préface du premier tome des œuvres de l’auteur dans la Pléiade, « chez l’écrivain d’Ormesson tout est autobiographie biaisée, et rien n’est autobiographique ».
La vie du normalien, agrégé de philosophie, de l’académicien (élu sous la coupole en octobre 1973), du directeur du Figaro (de 1974 à 1977), a-t-elle néanmoins fini par se confondre avec la quarantaine d’ouvrages qu’il a écrits ? C’est du côté du mentir-vrai, cher à Aragon, auteur que Jean d’Ormesson révérait – et auquel il a emprunté nombre de ses titres –, qu’il faut chercher la réponse à cette question.
Autre clef de lecture offerte par l’auteur lui-même en 2015 : « Je suis une sorte de romancier, sans roman ».
Ainsi son œuvre se compose de fictions où se mêlent autobiographie et méditation souriante (Du côté de chez Jean, Au revoir et merci, Le Vagabond qui passe sous une ombrelle trouée, Le Rapport Gabriel), de fresques historiques étoilées de rêve (La Gloire de l’Empire, Histoire du Juif errant, La Douane de mer), de récits plus méditatifs où, en détective métaphysique, il tente de percer le mystère de nos existences (Comme un chant d’espérance, Guide des égarés) et enfin de romans à l’érudition joyeuse, tourbillonnants de vie (Au plaisir de Dieu, Voyez comme on danse, Une fête en larmes). Parmi ses derniers livres, Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit, Je dirai malgré tout que cette vie fut belle et Et moi, je vis toujours reprennent son questionnement pétillant et tentent avec gaité de débusquer l’espérance en toute chose.
François Sureau résume subtilement son existence : il n’aura cessé de mener « bataille contre l’indifférence du monde, une indifférence contre laquelle la littérature est la meilleure défense ».
Jean d’Ormesson est décédé le 5 décembre 2017 à Neuilly-sur-Seine, où il vivait depuis cinquante-cinq ans. Au fil des six mois précédents, à quatre-vingt-douze ans, il s’était, pour sa plus grande joie, lancé dans la rédaction d’Un hosanna sans fin, aussi épuré que lumineux. La veille de sa mort, il avait mis un point final à ce livre-testament, qui débute par ces mots prémonitoires : « Grace à Dieu, je vais mourir ».
Cet ultime adieu au monde tant aimé achevé, il pouvait lâcher la rampe, le cœur léger.
© La Poste – Héloïse d’Ormesson -Tous droits réservés
À lire, Jean d’Ormesson en cinq titres :
Jean d’Ormesson, L’Amour est un plaisir, Paris, Julliard, 1956.
Id., Au plaisir de Dieu, Paris, Gallimard, 1974.
Id., Histoire du Juif errant, Paris, Gallimard, 1991.
Id., Dieu, les affaires et nous. Chronique d’un demi-siècle, Paris, Robert Laffont, 2015.
Id., Je dirai malgré tout que cette vie fut belle, Paris, Gallimard, 2016.
Cette sélection est empruntée au journal du Monde dans un article du 5 décembre 2017 : S’il fallait n’avoir lu que cinq livres de Jean d’Ormesson, par Florent Georgesco. Permalien :
Crédits images :
Bannière du dossier :
L’écrivain français Jean d’Ormesson, écrivain, journaliste, directeur du journal Le Figaro, ici dans son bureau en 1974-1977. © AGIP/Bridgeman Images
Illustration du chapô :
Jean d’Ormesson. Photographie. Avec l’aimable autorisation de © David Ignaszewski-koboy – Tous droits réservés
Bannière de l’article :
Yves Pouliquen, Jean d’Ormesson, Hélène Carrère d’Encausse, discours de réception de Simone Veil, 18 mars 2010. Photographie. © Institut de France.
Bas de page :
Le château de Saint-Fargeau (vue prise du beffroi), dans l’Yonne, qui a appartenu à la famille de Jean d’Ormesson et où il a passé une grande partie de son enfance. Carte postale ancienne (éditions Machavoine), début du XXe siècle. Impression photomécanique. Dim. (H x L cm) : 14 x 9. © Archives départementales de l’Yonne. Permalien : https://archives.yonne.fr/ark:/56431/321107.623711/img:FRAD089_02Fi_09135