Le centenaire du centenaire  : 5 mai 1921, la France victorieuse célèbre le génie militaire de Napoléon

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Article de Yves Bruley, Maître de conférences h.d.r. à l’École Pratique des Hautes Études, Directeur de France Mémoire


 

La France sortait de la Grande Guerre. Le pays était victorieux, marqué profondément par la culture militaire, la germanophobie et l’alliance avec l’Angleterre. Dans ce contexte, le centenaire de la mort de Napoléon, célébré en grande pompe les 4 et 5 mai 1921 par la République, fut largement populaire. Mais il ne fit pas pour autant l’unanimité, provoquant de virulentes critiques à gauche contre le gouvernement ainsi que des réserves à droite. 

Le Comité du centenaire de la mort de Napoléon 1er, présidé par l’historien Édouard Driault était placé sous le Haut Patronage du Président de la République (Alexandre Millerand), du Président du Conseil (Aristide Briand), du Président du Sénat, du Président de la Chambre des députés, et sous la présidence d’honneur du Maréchal Foch. Effectivement, du côté des institutions, le centenaire faisait l’unanimité. À cette adhésion massive de la République et de l’armée, il faut ajouter celle de l’Église, qui s’explique par le contexte : la Grande Guerre avait rapproché la République et l’Église, et après tant de crise, la France s’apprêtait à rouvrir son ambassade auprès du Vatican (17 mai 1921).

Les cérémonies à la mémoire de Napoléon s’ouvrent donc à Notre-Dame de Paris, le 4 mai 1921 par une messe de requiem, présidée par le cardinal-archevêque de Paris, entouré de nombreux prélats. Au premier rang, les autorités civiles et militaires, le corps diplomatique, les académies, les corps constitués. Un aumônier militaire couvert de décorations prononce un sermon sur la pacification religieuse que fut le concordat de 1801 et termine par un vibrant éloge des soldats d’aujourd’hui. Le Figaro parlera d’une « messe anniversaire aux allures d’apothéose », et L’Humanité de « capucinade », de « représentation de gala à Notre-Dame [où] les sabres et les goupillons ont resserré leurs faisceaux ». Personne ne parle de l’arrestation du pape Pie VII sur ordre de Napoléon, de son exil loin de Rome ni de l’excommunication de l’Empereur. La Croix relatera la cérémonie avec satisfaction tout en rappelant la formule de Massillon devant la dépouille de Louis XIV : « Dieu seul est grand, mes frères ! »

Le 4 mai après-midi, rendez-vous dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. Entouré de représentants de l’Institut de France et des facultés, l’historien Georges Lacour-Gayet prononce une conférence sur les institutions législatives et administratives que Napoléon a données à la France. Le ministre Yves Le Troquer conclut la séance (la seule de nature historique de tout le centenaire) en disant que « la République victorieuse pouvait s’associer sans crainte au grand hommage que rend la France à son grand Empereur ».

Le 5 mai au matin, se déroule la grande cérémonie à l’Arc de triomphe de l’Étoile, présidée par Millerand, en présence d’officiers des armées alliées de la France dans la Grande Guerre. Le ministre de la Guerre, Louis Barthou, prononce un discours très applaudi, où il considère que l’abstention du gouvernement de la République à la commémoration du Français « qui a porté le plus loin le renom de la France » aurait été une trahison : « Napoléon n’est plus une tradition politique. Il apparaît désormais comme une gloire nationale, très grande et très haute, qui appartient à tous. »

À cinq heures de l’après-midi, a lieu la cérémonie aux Invalides. L’éloge funèbre de Napoléon est prononcé par le maréchal Foch, tenant en main l’épée d’Austerlitz. C’est à la fois le sommet et le résumé du centenaire, car il relie les victoires de Napoléon et celle de 1918 : « Si nos légions sont rentrées victorieuses par l’Arc Triomphal, c’est parce que cette épée d’Austerlitz en avait tracé la direction en montrant comment réunir et mener les forces qui font la victoire. » Enfin une salve de 21 coups de canon se fait entendre près du pont Alexandre III.

La presse des oppositions s’empare de ces événements pour attaquer le gouvernement. Dans L’Humanité, Marcel Cachin déplore cette « insolente apothéose », « œuvre d’abêtissement populaire ». La presse socialiste (par exemple, La Montagne) est scandalisée de voir que « le gouvernement s’associe officiellement aux fêtes et cérémonies ». Elle rappelle que Napoléon « substitua au régime de la liberté celui de l’autocratie. […] Cette conception du pouvoir n’est pas encore complètement effacée […] Laissons les gens de droite organiser ces fêtes ! » 

Mais du côté de l’Extrême droite, à la « une » de L’Action française du 5 mai 1921, entre un article sur « la poussée juive chez les Anglo-Saxons » et une charge de Léon Daudet contre Aristide Briand, Charles Maurras prend ses distances avec le centenaire de Napoléon, qui « a finalement échoué partout » : « La France anémiée par tant de guerres a souffert longtemps et profondément du régime napoléonien dans la paix. Il nous a fait beaucoup de mal. »

Il est un grand absent de cette revue de presse : le Royaume-Uni, l’ennemi mortel et victorieux de Napoléon, mais allié récent dans la guerre mondiale. Dans les pages intérieures de L’Humanité, on trouve l’annonce d’un match de football entre la France et l’Angleterre, le 5 mai à Vincennes. Finalement, l’équipe de France a gagné. Résultat non conforme à l’histoire napoléonienne, mais aucun journal ne l’a relevé.

 

Illustration de la une de l’Humanité, le 5 mai 1921 © Gallica / Bnf
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