La terre natale dans les premiers recueils (1549)

Par Marilise Six, présidente des Lyriades de la langue française, professeur honoraire de chaire supérieure en CPGE à Angers


Le lien qui unit à sa terre natale celui qui signait JDBA, Joachim Du Bellay l’Angevin, a des allures d’évidence quand on laisse courir la musique si magiquement célèbre du sonnet XXXI des Regrets, dont le dernier vers se tait sur la bien connue douceur angevine.

Premiers recueils, premiers hommages

Si le poète, dans le manifeste de 1549, La Deffence et illustration de la langue françoyse, exhorte à cultiver méticuleusement la langue française comme une essence du terroir à qui l’on prodigue tout son zèle de cultivateur, c’est à L’Olive qu’il réserve la primeur de l’exercice. Or cette jeune femme, double local de la Laure de Pétrarque, n’est-elle pas Olive de Sévigné, dont la terre est si proche du château de la Turmelière à Liré ?

Ces deux premiers écrits, un manifeste et un recueil poétiques, affirment d’emblée le lien indéfectible noué entre le poète et la terre d’origine, l’Anjou, célébré à chaque détour de ses créations. On se rappelle, dans les Vers lyriques, l’hommage à la Loire, Les Louanges d’Anjou, au fleuve de Loyre, Ode I, v. 8-11 :

Cette longue ode, genre que  Joachim Du Bellay met à l’honneur, avant Pierre de Ronsard, selon les préceptes de son manifeste poétique, peint une nature peuplée de créatures mythologiques qui donnent à cette terre un rang quasi divin. Le « chef royal » de la Loire réapparaît « entre tous les plus beaux / Comme un thaureau sur les menus troupeaux », dans le sonnet III de L’Olive.

Et le premier quatrain du sonnet LXI de ce recueil affirme hautement la mission du poète, la célébration de la terre angevine :

Chanter la terre d’origine pour chanter la France

Il s’agit là d’un devoir que se donnent nos poètes de la Renaissance, mettre à l’honneur la terre d’origine, dans une pratique d’émulation mutuelle. En témoigne l’ode LX de L’Olive qui apostrophe Ronsard pour qu’il prenne sa charge de glorification de l’Anjou, contributrice de celle de la France :

En fait, chanter la terre d’origine signifie chanter la France, faire œuvre d’ornementation politique selon la promesse de La Deffence et illustration de la langue françoyse, que Joachim Du Bellay rappelle ainsi à l’ami et condisciple voisin. Le travail poétique doit se faire à plusieurs, dans l’élan d’une jeunesse créatrice pleine d’ambition et d’une volonté de collaboration glorieuse.

Une fusion salvatrice entre le poète et la nature

Mais si la terre natale offre la marche qui permet d’accéder à la gloire poétique, précieuse alliée de la valorisation du règne, elle œuvre aussi à l’adoucissement de la peine intime. Cette consolation que donne l’immersion dans la nature familière n’appartient pas seulement aux recueils postérieurs des Regrets ou des Antiquitez de Rome. Les premiers écrits poétiques mettent en lumière la fusion salvatrice entre le poète et la nature, qui rappelle la métamorphose ovidienne et préfigure ce mouvement d’union tant chanté par les poètes romantiques depuis Jean-Jacques Rousseau. Cette constante s’affirme dans l’ensemble de l’œuvre dès L’Olive, comme en témoigne le sonnet LXXVII :

Ainsi, la terre natale et le poète ne font plus qu’un, réunis à jamais dans le regard de l’aimée.

Il est du devoir de notre association, Les Lyriades de la langue française, de le rappeler en cette année de célébration du 5e centenaire de la naissance du poète, comme de rappeler notre mission de défense et illustration de la langue française à laquelle nous consacrons nos efforts. Le patrimoine culturel et linguistique français, que Joachim Du Bellay nous a légué, doit être honoré et il faut garder en mémoire et diffuser auprès de tous les cercles une oeuvre dont la force de modèle reste si vive. 

 

Crédits photos : 

Illustration de l’article : Abraham Bloemaert, Scène pastorale, huile sur toile, XVIᵉ siècle  ©WikiCommons

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