La diplomatie entre deux Blocs

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Article de Georges-Henri Soutou, membre de l'Académie des sciences morales et politiques


Georges Pompidou, sans s’écarter des principes fondamentaux de la politique extérieure gaullienne, dut procéder cependant à un recentrage. En effet il fut confronté à toute une série de bouleversements de la situation internationale : relations soviéto-américaines en pleine évolution avec les accords SALT de 1972 ; indépendance accrue de la politique allemande et début de l’Ostpolitik ; crise pétrolière ; danger de marginalisation de l’Europe et de la France. On peut distinguer deux phases : 1969-1972, au cours de laquelle le président rétablit de bonnes relations avec Londres et Washington et remit l’Europe sur les rails, et une deuxième phase, beaucoup plus difficile, avec la guerre du Kippour, la première crise pétrolière et l’évolution des relations soviéto-américaines.

1969-1972 : la phase ascendante

En accédant à la Présidence en juin 1969, Georges Pompidou était décidé à la fois à maintenir l’héritage de la politique gaulliste et à le faire évoluer de façon à tenir compte des moyens réels de la France. Il était par exemple conscient que le veto imposé par le Général à l’entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté économique européenne bloquait le fonctionnement de cette dernière et isolait la France. Il se mit d’accord avec le Premier ministre Edward Heath en vue de l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE (en 1973).

Cela permit le déblocage à Bruxelles : au sommet de La Haye de décembre 1969, Paris fit adopter l’objectif d’une Union économique et monétaire avant 1980 et le lancement d’une « Coopération politique » entre les membres, tout à fait nouvelle. Elle serait strictement intergouvernementale, non pas intégrée, ce qui répondait aux thèses françaises.

En même temps Pompidou était tout disposé à améliorer les relations avec Washington. En 1970 il se mit d’accord avec le président Nixon sur toute une série de dossiers, y compris les rapports avec l’URSS et une discrète reprise des conversations militaires à propos de l’OTAN et des échanges en matière d’armes nucléaires.

Les relations franco-soviétiques

Avec Moscou, Pompidou se maintint dans la continuité. Il était prêt à développer les relations bilatérales avec Moscou. Il était même disposé à accepter la vieille proposition soviétique de conférence européenne sur la sécurité (ce fut l’origine de la Conférence d’Helsinki en 1975), premier dirigeant occidental à le faire. Ceci dit, sur la plupart des autres sujets intéressant les Soviétiques il se montra beaucoup plus réservé que son prédécesseur. Et quand les Soviétiques lui proposèrent, lors de la préparation de sa première visite en octobre 1970, de formaliser la relation franco-soviétique en concluant un “traité d’amitié et de collaboration”, Pompidou refusa.

Peu après l’arrivée à la présidence de Georges Pompidou, le chancelier allemand Willy Brandt lança l’Ostpolitik, qui conduisit à une série de traités avec Moscou et les démocraties populaires normalisant leurs relations avec Bonn. Pompidou soutint ce processus, car il renvoyait la réunification allemande aux calendes grecques. Mais il se méfiait des arrière-pensées de certains dirigeants allemands, qui visaient à long terme une réunification de l’Allemagne, éventuellement au prix de sa neutralisation. C’est pourquoi il finit par accepter l’accord sur Berlin du 3 septembre 1971. Celui-ci réglait la question de Berlin-Ouest, ouverte par l’ultimatum soviétique de 1958, et aggravée par la construction du Mur en 1961. Mais la diplomatie française, suivie de très près par le Président, imposa que l’accord restât de nature technique et ne diminuât en rien les droits et responsabilités des Quatre pour Berlin, et donc pour l’Allemagne dans son ensemble, ce qui était une garantie contre une réunification non contrôlée.

1973-1974 : les crises

Ce fut le sommet de la diplomatie pompidolienne. À partir de là les problèmes s’accumulèrent. A partir de 1972 Washington et Moscou signèrent toute une série d’accords nucléaires (les SALT) qui furent souvent considérés à Paris comme une forme de condominium soviéto-américain par-dessus la tête des Européens. La guerre du Kippour en octobre 1973 et ses conséquences (le choc pétrolier) vinrent encore compliquer les rapports franco-américains, Paris étant en désaccord avec Washington sur la crise du Moyen-Orient et hostile aux initiatives américaines en vue de constituer un groupe des pays consommateurs de pétrole, projet dans lequel on croyait voir une volonté d’organiser un monde occidental autour de Washington, marginalisant les Européens.

Mais les Français voyaient que leurs relations avec Moscou se détérioraient, elles aussi. Ils comprenaient que les Russes cherchaient à séparer l’Europe des États-Unis, et à neutraliser l’Europe dans un nouveau système de sécurité. Pompidou réagit par un retour à un gaullisme plus dur, en particulier en relançant, début 1974, l’effort nucléaire militaire français et en réaffirmant l’indépendance nationale et la doctrine de dissuasion.

En même temps la France parvenait à une impasse. Le début de la Détente, le dialogue russo-américain et germano-russe, l’isolaient, ou du moins la rendaient moins importante sur la scène internationale. Les formules d’après 1958 ne fonctionnaient plus alors que commençait une nouvelle phase internationale, beaucoup plus complexe.

 

Crédits images :

Georges Pompidou avec le président américain Nixon, à Reykjavik (Islande) le 31 mai 1973© Wikimedia Commons

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