L’esthétique des « années Pompidou »

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Article de Sabrina Tricaud, agrégée, docteur en histoire, professeur d’histoire en classes préparatoires au lycée du Parc (Lyon)


Fils d’enseignants, normalien, agrégé de lettres, Georges Pompidou est un homme de culture, pétri d’humanités classiques. Mais Georges Pompidou est également passionné d’art contemporain, collectionne des œuvres et fréquente des artistes tels que Victor Vasarely, Pierre Soulages, Yves Klein ou Martial Raysse. Il a donc prêté une attention particulière aux affaires culturelles, faisant de ce champ un « domaine réservé » du chef de l’État. Sa politique culturelle répond à trois objectifs : conserver le patrimoine, stimuler la création artistique, et diffuser le plus largement possible la culture.

Perpétuer et innover

Georges Pompidou a cherché à maintenir un équilibre entre le passé, le présent et le futur, entre la nécessité de bâtir la modernité et celle de garder les traces du passé. Les travaux du palais de l’Élysée l’illustrent. La manufacture des Gobelins, celle de Sèvres, l’Atelier de création du Mobilier national ont été sollicités pour créer, dans un style contemporain, des ensembles décoratifs nouveaux pour les résidences présidentielles. Il s’agit de faire des palais présidentiels des vitrines de la modernité, des reflets de la qualité du made in France. Les salons du rez-de-chaussée de l’Élysée sont remeublés et les pièces des appartements privés au premier étage sont réaménagées. Les travaux sont confiés au designer Pierre Paulin. Le cahier des charges précise que les nouveaux aménagements devront être amovibles, afin de préserver le cadre existant. Les salons Paulin offrent des fauteuils en corolle ronds et moelleux, recouverts de daim marron. Les murs sont tendus de lainage beige. Au centre se trouve une table ronde en verre fumé soutenue par une grande fleur en plastique éclairée par le sol. Le plasticien Yaacov Agam, spécialiste d’art cinétique, réalise l’antichambre des appartements privés du

Président. Six portes coulissantes font office d’entrée. Au centre, l’artiste crée une sculpture monumentale : un cube sur lequel est posée une sphère surmontée d’un triangle. D’où que l’on soit, l’image du spectateur s’y reflète…

Paris capitale des arts

Georges Pompidou souhaite faire de Paris la capitale internationale des arts, position que New York était en passe de lui ravir. Plusieurs projets sont conduits à cet effet, dont l’ouverture d’un musée des arts impressionnistes dans la gare d’Orsay (la décision définitive étant prise par le Président Giscard d’Estaing). Une attention particulière est portée à la scène théâtrale et lyrique parisienne. De nouvelles personnalités sont nommées à la tête des différentes institutions culturelles. Jack Lang prend ainsi la tête du Théâtre national de Chaillot en 1972. L’Opéra et son orchestre sont placés sous la direction de deux des meilleurs directeurs de théâtre lyrique de l’époque : le Suisse Rolf Liebermann, qui se voit confier l’Opéra de Paris en 1973, fait venir les meilleurs chanteurs du moment. Il est secondé par le célèbre chef d’orchestre Georg Solti, directeur musical de l’Orchestre de Paris.

Beaubourg : la culture pour tous

La création du Centre Beaubourg illustre l’ambition de démocratiser l’accès à la culture. Outre la volonté de donner à voir l’art moderne à un public qui dépasse celui des amateurs éclairés, le projet veut promouvoir la lecture publique, par le biais d’une vaste bibliothèque. La décision est arrêtée en Conseil restreint le 11 décembre 1969, sur l’emplacement du plateau Beaubourg. Sa conception fait l’objet d’un concours international d’architecture. Outre le musée national d’art moderne et contemporain, Beaubourg comprend un centre de recherches acoustiques (l’IRCAM de Pierre Boulez), un Centre de création industrielle (dirigé par François Mathey), et une bibliothèque publique d’information (BPI). Les lauréats du projet sont l’Italien Renzo Piano et le Britannique Richard Rogers. Ils s’inspirent de la culture pop britannique et créent un espace ouvert sur la ville : la façade ouest, transparente, laisse entrer la lumière et offre, du haut des escaliers mécaniques, une vue panoramique sur Paris. Le monument fait face à un parvis (la piazza), encaissé et coupé à la circulation. La fonction du bâtiment a également guidé sa conception : l’intérieur est totalement flexible. Les zones de service et les circulations sont toutes placées à l’extérieur, dans des tuyaux dont chaque couleur correspond à un élément : le bleu pour l’air, le vert pour l’eau, le jaune pour l’électricité et le rouge pour la circulation. L’architecture du Centre suscite maintes interrogations et critiques. Admiré par les uns, il est honni par les autres… Mais il s’est imposé dans le paysage parisien, intégré au cœur historique de Paris, tout en symbolisant la modernité architecturale du mandat de Georges Pompidou – et parfois son rejet. Son décès prématuré ne lui a pas permis de l’inaugurer.

À lire :

Élisa CAPDEVILA et Jean-François SIRINELLI, Georges Pompidou et la culture, Bruxelles, PIE-Peter Lang, 2011

Mathieu FLONNEAU et alii, Le Grand dessein parisien de Georges Pompidou, Paris, Somogy, 2011

Sabrina TRICAUD, Les Années Pompidou, Paris, Belin, 2014

 

Crédits images :

Photographie de Georges Meguerditchian, 1977 © Archives du Centre Pompidou

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