Un président féministe ?

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Article de Sabrina Tricaud, agrégée, docteur en histoire, professeur d’histoire en classes préparatoires au lycée du Parc (Lyon)


« Je crois que le XXe siècle est à coup sûr le siècle de la libération de la femme et de sa marche vers l’égalité » : c’est en ces termes que s’exprime Georges Pompidou lors de la campagne présidentielle de 1969. Des femmes occupent des postes importants dans son entourage : à l’Élysée, Anne-Marie Dupuy est par exemple son chef puis directeur de cabinet, et Simonne Servais dirige son service de presse jusqu’en novembre 1970. Marie-France Garaud est l’un de ses conseillers politiques.

Vers plus d’égalité au travail et dans le couple

Georges Pompidou se montre partisan de la promotion de la femme dans la société, de son égalité dans le monde du travail et au sein du couple. En 1968, 36,1 % des femmes exercent une activité professionnelle et 38,9 % en 1975. Le Président a souhaité accompagner la féminisation de la population active, y compris au plus haut sommet de l’État. Il nomme la première femme ambassadeur, Marcelle Campana, ambassadrice de France au Panama en 1972, et fait de sa collaboratrice Anne-Marie Dupuy la première femme à siéger au Conseil d’État (nommée le 15 janvier 1974). L’École Polytechnique devient mixte en 1971 et Pompidou insiste pour que l’Inspection des Finances s’ouvre aux femmes en 1973. La loi du 22 décembre 1972 « relative à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes » est le premier texte à introduire le principe « à travail égal, salaire égal » dans le Code du travail. L’évolution de la législation traduit également les mutations familiales. En 1970, la « puissance paternelle » disparaît du Code civil au profit de « l’autorité parentale conjointe » (loi du 4 juin 1970). Elle implique des droits et des devoirs égaux du père et de la mère dans l’éducation des enfants. Désormais « les deux époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille », le mari n’est plus le « chef de famille » du Code napoléon.

La délicate question du droit à l’avortement

Le mandat présidentiel de Georges Pompidou correspond à la seconde vague des féminismes, celle du combat pour la libre disposition du corps de femmes. En 1967, la loi Neuwirth autorise la fabrication et la vente de produits contraceptifs, mais la loi est restrictive (vente de la pilule en pharmacie, sur ordonnance médicale ; les mineurs doivent avoir l’autorisation de leurs parents). Toute propagande anticonceptionnelle demeure interdite. En outre, les décrets d’application ne paraissent que tardivement, en 1969 et 1972. La loi Neuwirth n’a donc pas résolu le problème du contrôle des naissances, encore moins celui de l’avortement. La libéralisation de l’avortement devient un débat public après la publication du « Manifeste des 343 » dans le Nouvel Observateur le 5 avril 1971. « Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. » Le texte est signé, entre autres, par Simone de Beauvoir, Catherine Deneuve, Marguerite Duras, Gisèle Halimi, Jeanne Moreau, Marie-France Pisier, Christiane Rochefort, Delphine Seyrig. Ce manifeste est repris par les radios, la télévision, dans la presse.

Dans le sillage de l’affaire Chevalier, un projet de loi… avorté

La médiatisation se poursuit lors du procès de Bobigny, en 1972, où l’avocate Gisèle Halimi défend une jeune fille de dix-sept ans, Marie-Claire Chevalier, jugée pour s’être fait avorter – après avoir subi un viol – par le tribunal pour enfants de Bobigny. Elle est relaxée, sa mère et l’avorteuse sont condamnées respectivement à une amende et une peine de prison avec sursis. Mais la question divise profondément l’opinion. Un sondage réalisé par l’IFOP pour Le Nouvel Observateur, le 25 avril 1971, est significatif. 55 % des sondés répondent qu’une femme qui attend un enfant et ne le désire pas a le droit de faire interrompre sa grossesse par un médecin, 38 % s’y opposent, 7 % ne se prononcent pas. Le Gouvernement Messmer propose en décembre 1973 un projet de loi qui rendrait légale l’interruption volontaire de grossesse (IVG – le terme étant employé pour la première fois), dans trois cas : un danger pour la santé physique ou psychique de la future mère, une grave malformation du fœtus, et une grossesse résultant d’un crime. La décision revient à la femme, après avoir consulté un médecin, et un délai de réflexion de sept jours. Les médecins ont un droit de réserve et ne sont pas contraints de pratiquer des avortements. Les débats parlementaires des 13 et 14 décembre 1973 révèlent les clivages entre « pro » et « anti »-avortement. Le projet est renvoyé en commission par 255 voix contre 212. La discussion, reportée au printemps 1974, est repoussée par le décès du Président Pompidou, le 2 avril 1974. La question demeure un enjeu électoral des présidentielles de 1974.

À lire :

Christine BARD, Les femmes dans la société française au XXe siècle, Armand Colin, Paris, 2001

Bibia PAVARD, Si je veux, quand je veux. Contraception et avortement dans la société française (1956-1979), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012

Sabrina TRICAUD, Les Années Pompidou, Paris, Belin, 2014

 

Crédits images :

Photographie de la manifestation à l’Arc de Triomphe d’août 1970 ©  Ville de Paris / Bibliothèque Marguerite Durand

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