La guerre de 1870 dans la littérature : une entreprise de démystification

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Article de Caroline Garde-Lebreton, agrégée de lettres modernes, chargée de mission pour France Mémoire


Héroïque et spectaculaire, la guerre a toujours constitué une source d’inspiration littéraire. Mais avec la guerre de 1870, il semble qu’elle cesse d’être un sujet choisi pour devenir un sujet qui s’impose, la littérature devenant l’instrument nécessaire à l’expression du traumatisme.

En 1870-1871, c’est d’abord dans les écrits privés et la presse que la guerre se raconte, offrant un témoignage direct sur le conflit et le moral des Français. Ici comme dans la production littéraire, l’attachement à la patrie domine. Les Chants du soldat de Déroulède, les récits alsaciens d’Erckmann-Chatrian ou certains contes de Daudet incarnent un patriotisme cocardier qui exalte aussi bien le courage des vaincus que la haine du vainqueur et l’esprit de revanche. Moins chauvin et plus tragique, Hugo nous laisse un portrait de l’ennemi qui n’a rien à envier aux outrances de Déroulède : « Mais ils sont monstrueux pourtant, convenez-en / Des premiers rois venus ils ont l’aspect vulgaires. […] Hideux,/ Casqués, dorés, tatoués de blasons / Il faut que chacun d’eux de meurtres se repaisse » (L’Année terrible).

Mais dix ans après le conflit, le temps ayant permis d’accomplir un travail de mise à distance, émerge une autre littérature de fiction, moins patriote et plus critique. En 1880, le groupe des naturalistes rassemblés autour de Zola signent ainsi un recueil de nouvelles (Les Soirées de Médan), qui se caractérisent par le réalisme historique, l’antimilitarisme et l’esprit de dérision. Maupassant y publie Boule de suif. À l’exception de L’Attaque du moulin, aucune de ces nouvelles ne traite directement des combats. Paris assiégé, les camps militaires, la France occupée, sont les lieux où se déroulent ces récits courts, toujours en marge du champ de bataille. Pourquoi ces récits de guerre désertent-ils ainsi le combat ? Est-ce à cause du souvenir cuisant de la défaite de Sedan et de la perte de l’Alsace-Moselle ? Du changement majeur opéré dans l’armée depuis la fin de l’Ancien Régime et le recours à la conscription ?

Parmi les « lambeaux d’armée en déroute » qui fuient l’avancée prussienne au début de Boule de Suif, on voit ces « mobilisés, gens pacifiques, rentiers tranquilles, pliant sous le poids du fusil ». Le soldat jeune est également un personnage récurrent, souvent mort d’ailleurs, ou appelé à mourir : jeune, « le Prussien mort » de Banville (Idylles prussiennes) ; jeune, le « dormeur du val » de Rimbaud. Dans tous les cas, le soldat est victime d’un état-major incompétent et inhumain. En 1839, dans La Chartreuse de Parme de Stendhal, Fabrice Del Dongo errait dans Waterloo, désemparé et inutile. Mais au moins avait-il encore le désir d’être un héros. Le guerrier de 70 veut surtout rentrer chez lui.

L’héroïsme se joue donc encore une fois en marge des combats, et plus souvent encore parmi les humbles, notamment dans les nouvelles de Maupassant : prostituées, comme Boule-de-suif ou Rachel (Mademoiselle Fifi) ; paysans, comme la mère Sauvage et le père Milon. Ces deux derniers se ressemblent par leur héroïsme presque animal. Le père Milon, plein d’une « haine sournoise et acharnée de paysan cupide et patriote aussi » tue 16 uhlans par ruse, vengeant ainsi la mort de son fils et de son père, et aussi la perte d’ « une vaque (sic) et deux moutons ». L’héroïsme de la mère Sauvage est qualifié d’ « atroce ». Les « deux amis » de Maupassant refusent de trahir le mot d’ordre, dans une sorte d’obstination fataliste et désolée, qui ne cherche ni à s’expliquer, ni à se justifier.

Car c’est sans doute la force de ces récits courts, de livrer simplement la violence des faits, empêchant toute tentative de moralisation. Quant à l’image du Prussien, elle ne s’est pas totalement défaite des stéréotypes des années de guerre : le soldat est « lourd », plus ridicule qu’effrayant pourtant sous son casque à pointe. De l’animal féroce de Déroulède ou d’Hugo, lui reste un solide appétit qui lui vaut d’être appelé « mon cochon » par le père Antoine. L’officier allemand, quant à lui, est inflexible, sans pitié, mais rarement d’une cruauté excessive, à l’exception notoire de l’officier surnommé Mademoiselle Fifi.

En 1892, plus de 20 ans après les faits, Émile Zola racontera dans La Débâcle le désastre de Sedan. Il y donnera à voir, cette fois, tous les aspects de la guerre. Dans Le Calvaire, en 1886, Mirbeau évoquait déjà son expérience traumatique des combats. Bien des pages relatives au conflit de 1914 sont déjà écrites ici, avec toute leur horreur, leur absurdité, leur paroxysme de violence. De quelle façon cette littérature a-t-elle contribué à fixer dans l’imaginaire des Français l’image de l’ennemi allemand ? Les textes évoqués ici montrent tous à leur façon la grande catastrophe de la guerre. Mais dans l‘onde de choc qui se propage à partir de l’année 1870, le patriotisme parfois chauvin du début laisse place à la fin du siècle à des accents nettement pacifistes.

 

À lire :

Victor Hugo, L’Année terrible (1872)

Alphonse Daudet, Les Contes du lundi (1873)

Les Soirées de Médan (1880)

Maupassant, Boule de suif et autres histoires de guerre, Paris, GF Flammarion, 1991 (nouvelles écrites entre 1880 et 1889)

Emile Zola, La débâcle (1892)

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