Jules Rimet, de la pratique populaire à la compétition internationale

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Quatre questions à Olivier Chovaux, professeur H.D.R. en histoire contemporaine, Université d’Artois


— Quand le football est-il devenu un sport populaire ?

Né dans l’Angleterre victorienne et d’abord réservé aux futures élites qui le pratiquent dans les High schools au même titre que le rugby et d’autres sports athlétiques, le football-association traverse la Manche dans le dernier tiers du XIXe et s’enracine progressivement dans les grandes agglomérations et villes balnéaires de l’hexagone. La simplicité de ses règles, le fait qu’il puisse être pratiqué sur des terrains sommairement aménagés et l’anglomanie ambiante expliquent un processus de diffusion qui concerne dans un premier temps les catégories supérieures de la population (qui disposent de temps libre) avant que de gagner des couches plus populaires. Si l’amateurisme intégral demeure la règle, la pratique précoce de « l’amateurisme marron » (qui se traduit par l’octroi d’avantages en nature ou indemnités aux joueurs les plus talentueux) accélère sans nul doute le processus de démocratisation de la pratique.  À cet égard, le rôle de la presse dans la propagation du fait sportif en général et du football en particulier est déterminant. Il en est de même de la nébuleuse des Unions et Fédérations en charge d’organiser les premières compétitions sportives. Si l’Union des Sociétés Françaises des Sports Athlétiques (USFSA) joue un rôle conséquent, celui de la Fédération Gymnastique et Sportive des Patronages de France (qui prend ce nom en 1903) l’est tout autant. Dans le contexte d’une question laïque qui divise la société française avant et après l’adoption de la loi de séparation de 1905, les patronages catholiques prennent toute leur place dans la diffusion des pratiques sportives, à la veille de la première guerre mondiale.          

— Quel est le but de Jules Rimet lorsqu’il crée la Fédération Française de Football en 1919 ?

Les années qui précèdent le premier conflit mondial sont des années complexes s’agissant de l’organisation du football français, divisé par des conflits internes, justement qualifiés de « guerre des fédérations ». La question de l’amateurisme (défendu bec et ongles par l’USFSA) et de l’affiliation à la FIFA (créée en mai 1904, Jules Rimet y prenant une part active), que l’USFSA quitte en 1907, aboutit à la constitution du Comité Français Interfédéral, qui lui sera reconnu par les instances internationales. C’est d’ailleurs Jules Rimet qui représentera le CFI au sein de la FIFA. La création de la Fédération Française de Football Association en avril 1919 permet d’ouvrir une autre séquence de l’histoire du football. Président de la FFF de 1919 à 1942, Jules Rimet va œuvrer à l’organisation de compétitions désormais gérées par les ligues régionales et entamer des réflexions à propos de l’adoption d’un professionnalisme qu’il considère comme inéluctable, ce statut étant le moyen pour des joueurs de condition modeste de vivre décemment de la pratique du football. Après de longs débats, son adoption en juin 1932 permet de mettre fin à la pratique du « racolage » (débauchage de joueurs amateurs par les clubs de renom) et de « l’amateurisme marron ».        

— L’équipe que Jules Rimet emmène en Uruguay en 1930 pour la première coupe du monde est-elle composée de joueurs professionnels ?

Élu Président de la FIFA en mars 1921, Jules Rimet plaide alors pour l’organisation d’un tournoi international accueillant l’ensemble des équipes nationales, qu’elles soient amateures ou professionnelles. Le succès croissant des tournois de football se déroulant lors des Jeux olympiques (depuis 1908, seules les équipes nationales reconnues par la FIFA peuvent les disputer) constitue un premier « moment » de la mondialisation du football. Le choix de l’Uruguay pour cette 1ère édition de la Coupe du monde en 1930 en est également une illustration. Pour autant, l’éloignement géographique et le peu d’équipes européennes alors engagées (seules les équipes de France, Belgique, Roumanie et Yougoslavie), sans parler d’un contexte de crise économique sans précédent (le krach de 1929), expliquent le faible écho médiatique rencontré par cette première édition, remportée d’ailleurs par l’Uruguay. Le déplacement de l’équipe de France relève autant de l’expédition touristique que de l’aventure sportive. Placée dans le groupe 1 (en compagnie du Mexique, de l’Argentine et du Chili), les Bleus triomphent du Mexique, perdent contre l’Argentine après une rencontre rocambolesque (l’arbitre ayant prématurément sifflé la fin de la partie alors qu’il restait plus de six minutes à jouer) et sont défaits par le Chili, se retrouvant ainsi éliminés de la compétition. Si Lucien Laurent est le premier buteur officiel de la compétition (il inscrit un but à la 19ème minute contre le Chili), la délégation tricolore, forte de 16 joueurs issus des principaux clubs régionaux (Racing Club de France, FC Sochaux, Red Star Olympique), est relativement jeune et a peu d’expérience en matière de compétitions internationales.    

— Sur quelles convictions repose l’engagement de Jules Rimet pour l’essor du football ?

Proche du catholicisme social (et rallié à la République), Jules Rimet est un apôtre convaincu de la pratique des activités physiques à destination de la jeunesse et des valeurs éducatives que celles-ci (gymnastique, éducation physique et sports athlétiques) peuvent contribuer à promouvoir. S’il n’est pas l’unique dépositaire de cette forme « d’humanisme sportif », ses combats en faveur de l’organisation des rencontres internationales au lendemain du 1er conflit mondial renvoient également aux idéaux pacifistes qui sont alors les siens, convaincu que la « diplomatie sportive » peut être un instrument efficace du rapprochement entre les nations dans l’entre-deux-guerres. L’exploitation politique des deux éditions de la Coupe du monde en 1934 (Italie) et 1938 (France) aura raison de cet idéal.

À lire :

Alfred Wahl, Les archives du football. Sport et société en France (1888-1980), Gallimard, coll. Archives, 1989, 354 p.

Paul Dietschy, Histoire du football, Paris, Tempus, 2014.

Olivier Chovaux, La France du Nord, une société du football ? (XIXe/XXe) ». Hommage à Alfred Wahl, Revue du Nord, Hors-série, (coordination du n°, avec François Da Rocha Carneiro), 2023

Olivier Chovaux, 50 ans de football dans le Pas-de-Calais, Arras, Artois Presses Université, coll. « Cultures sportives », 2001. URL : https://books.openedition.org/apu/10388?lang=fr

Illustration en bannière :  Red Star contre Racing Stade de Paris Saint-Ouen, 1922, Agence Rol. © Gallica/BNF

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