Juillet 1870 : la guerre pour une « infox » ?

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Entretien écrit avec Yves Bruley, Maître de conférences h.d.r. à l’École Pratique des Hautes Études.


Malgré les tensions entre Paris et Berlin, rien ne laissait prévoir que la guerre éclate en juillet 1870. Une crise diplomatique évitable a dégénéré en confrontation inévitable entre deux nationalismes jetés l’un contre l’autre. 

 

Qui porte la responsabilité de la guerre ?

« Le véritable auteur de la guerre, a écrit l’historien Auguste Mignet, n’est pas celui qui la déclare, mais celui qui la rend nécessaire. » Si l’on s’en tient à cette maxime, la guerre franco-prussienne de 1870 n’a qu’un seul « véritable auteur » et il a nom Bismarck. Pour autant, on ne peut sous-estimer la responsabilité de Napoléon III, de ses ministres, mais aussi du Parlement et de l’opinion publique, très belliqueuse en juillet 1870, surtout à Paris. Depuis l’échec de l’annexion du Luxembourg par la France en 1867, Napoléon III sait que la France risque d’être amenée à la guerre avec la nouvelle Confédération de l’Allemagne du Nord. Mais en 1870, la priorité est à la politique intérieure par la consolidation de l’Empire libéral. De son côté, Bismarck espère achever l’unification allemande à l’occasion d’une guerre réunissant les Allemands du Nord et du Sud contre un ennemi commun, les Français, très impopulaires outre-Rhin. Mais il faut pousser la France à la faute. Le 3 juillet, on apprend que le prince Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen, cousin du roi de Prusse, est sur le point d’être désigné par les Cortès roi d’Espagne – le trône est vacant depuis le renversement de la reine Isabelle II. C’est un coup de tonnerre en Europe. La France ne peut rester sans réaction devant cette manœuvre anti-française. Elle demande au roi de Prusse Guillaume Ier, qui prend les eaux à Ems, d’ordonner à son cousin de renoncer à cette candidature.

Cette négociation n’a-t-elle pas réussi ?

En effet, le 12 juillet, on apprend que Léopold renonce. Mais il y a une nuance importante : cette nouvelle est venue d’Espagne et non d’Allemagne. À aucun moment, le roi de Prusse n’a reconnu sa faute, alors que s’il n’avait pas consenti à la candidature, la crise n’aurait jamais eu lieu. À Paris, les députés de l’opposition accusent le gouvernement de naïveté face aux Prussiens. Napoléon III décide alors de demander au roi Guillaume Ier de garantir que la candidature du prince Léopold ne sera jamais relancée – une façon de lui faire assumer ses responsabilités aux yeux de l’Europe. Le 13 juillet, le roi fait savoir à l’ambassadeur de France son refus de donner des garanties. Resté à Berlin, Bismarck est informé chaque jour par le télégraphe de ce qui se passe à Ems. Le soir du 13, la dépêche télégraphique envoyée par le conseiller du roi parvient au chancelier avec les dernières nouvelles. Bismarck lit le document, prend un crayon, coupe certaines phrases, en réécrit d’autres. Ainsi est née la fameuse « dépêche d’Ems ».

On parlerait aujourd’hui d’une « infox »… Comment a-t-elle provoqué la guerre ?

Dans ce texte assez court, il est dit que le roi « a refusé de recevoir encore l’ambassadeur français et lui a fait dire par l’aide de camp [adjutant en allemand] de service que Sa Majesté n’avait plus rien à communiquer à l’ambassadeur ». Bismarck a ajouté les mots « de service » pour rendre la formule désobligeante. Plus grave, il a coupé la phrase disant que le roi avait reçu du prince Léopold une lettre lui confirmant sa renonciation et qu’à part cela, le roi n’avait rien à dire de plus à l’ambassadeur. Cette coupure modifie évidemment le sens de la dépêche. Mais le plus grave est ce que Bismarck a fait de son texte. Dès le 13 au soir, il donne l’ordre de publier immédiatement dans des éditions spéciales de la presse allemande le récit remanié de la journée. En même temps, les journaux font courir le bruit que l’ambassadeur de France a manqué de respect au roi, ce qui est faux. Le nationalisme allemand s’enflamme contre les Français, et quelques heures plus tard, le nationalisme français s’enflammera contre les Allemands. Le lendemain, Bismarck fait communiquer la « dépêche d’Ems » à tous les gouvernements européens par voie diplomatique. Après avoir hésité toute la journée du 14 juillet, Napoléon III et ses ministres se résignent à la guerre.

Comment expliquer une telle décision ?

Tout d’abord par le poids de l’opinion publique, très hostile à la Prusse. Dans les rues de Paris, on crie « À Berlin ! ». Ensuite, par la pression des parlementaires qui se livrent à une surenchère belliciste. Si le gouvernement avait réagi par la seule diplomatie, il aurait été renversé. Mais la décision française s’explique surtout par les assurances du ministre de la Guerre au sujet de l’état de préparation de l’armée française : selon lui, tout est prêt et la victoire assurée, à condition de mobiliser au plus vite.

Le déclenchement de la guerre de 1870, dû à la manipulation des peuples excités au nationalisme par leurs gouvernants pour des motifs politiques, reste une leçon qui n’a rien perdu de son actualité.

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