Georges Pompidou et les crises du gaullisme

RETOUR AU DOSSIER

Article de Frédéric Turpin, professeur de relations internationales et d'histoire contemporaine à l'université Savoie Mont Blanc, membre de l’Académie des sciences d’outre-mer


Le compagnonnage entre Charles de Gaulle et Georges Pompidou a été l’un des faits politiques majeurs de la France de la deuxième moitié du XXe siècle. Inscrit dans un temps long, de 1945 à 1969, il a cependant connu des périodes de difficultés, Georges Pompidou n’hésitant pas à faire valoir ses différences d’opinions auprès d’un Général parfois fort peu enclin au dialogue et au compromis. Deux crises majeures illustrent le rôle croissant et déterminant de Georges Pompidou auprès de Charles de Gaulle.

La guerre d’Algérie

Georges Pompidou est associé à la gestion du conflit algérien dès le retour au pouvoir du général de Gaulle, investi président du conseil d’une IVe République agonisante, le 1er juin 1958. Pendant six mois, il officie comme directeur de cabinet du Général et joue, de l’aveu de tous, un rôle de « Premier ministre bis », tant dans l’élaboration de la nouvelle Constitution que dans le Plan Pinay-Rueff ou encore la question algérienne. Avec l’avènement de la Ve République, il refuse la proposition du Général de prendre en charge un ministère et n’accepte que de devenir membre du nouveau Conseil constitutionnel, tout en retournant à ses activités privées à la banque Rothschild. De Gaulle n’oublie pas son compagnon. En février 1960, il lui confie une mission de confiance en le chargeant de délicates négociations avec les représentants du Front de Libération Nationale (FLN) algérien en Suisse. Cette mission secrète n’aboutit pas dans l’immédiat mais elle convainc les dirigeants du FLN que le Général est prêt à négocier. Il faut attendre les accords d’Évian du 18 mars 1962 pour mettre fin au conflit algérien.

Nommé Premier ministre le 14 avril 1962, Georges Pompidou se retrouve au cœur de l’application délicate de ces accords de sortie de crise. Face à un Chef de l’État qui entend tourner au plus vite la page de la question algérienne, Pompidou se montre plus favorable à des compromis en particulier en faveur des Français rapatriés d’Algérie qui, dans des conditions dramatiques, ont fui massivement. Mais le nouveau Premier ministre, qui n’est pas un homme politique, dispose alors d’un poids politique réduit face à celui qui l’a nommé à Matignon. S’il ne peut pas réellement faire prévaloir ses différences d’opinions, il est un point sur lequel il se montre intraitable : le sort du général Edmond Jouhaud. Celui-ci a été condamné à mort le 13 avril 1962, à la suite de sa participation au putsch d’avril 1961, par le haut tribunal militaire tandis qu’à la stupeur générale le général Raoul Salan, putschiste et chef de l’OAS, échappe à la peine de mort le 23 mai suivant. Furieux, De Gaulle exige que Jouhaud soit passé par les armes. Pompidou s’y oppose. Soutenu par le garde des sceaux Jean Foyer, il met en balance sa démission si la grâce ne lui est pas accordée. Après une ultime entrevue particulièrement orageuse, le chef de l’État cède finalement.

Mai 1968

La crise de Mai 1968 surprend tout autant le Général que Georges Pompidou. Depuis plus de six ans à Matignon, le Premier ministre est devenu un personnage incontournable du gaullisme et de la vie politique française.

La crise étudiante puis sociale et politique va diviser profondément les deux hommes. D’abord en raison de leurs compréhensions distinctes des causes de cette crise multiforme. De Gaulle peine à en saisir les ressorts et l’assimile volontiers à des désordres (la « chienlit »), voire à des tentatives de subversion, qu’il faut mater. Il exige même l’intervention de l’armée contre les manifestations étudiantes, ce que refuse catégoriquement Georges Pompidou et le ministre des armées Pierre Messmer. Le Premier ministre analyse les événements de Mai 68 comme une « crise de civilisation », d’adaptation de la société française aux profonds bouleversements engendrés par les Trente Glorieuses. C’est ce qu’il explique dans son discours du 14 mai devant l’Assemblée nationale et plus longuement dans Le Nœud gordien écrit pendant l’été 1968.

Les deux hommes s’opposent également sur la manière. Quand le Président mise sur la répression, son Premier ministre répond par le dialogue. De retour de son voyage en Afghanistan, il fait rouvrir la Sorbonne et libérer certains étudiants. Ceux-ci reprennent possession de leurs facultés et la crise étudiante s’y cantonne dès lors. Face aux grèves massives et spontanées, Pompidou décide de réunir, rue de Grenelle, une grande conférence avec les partenaires sociaux. Le 27 mai, patronat et syndicats des salariés s’entendent sur des mesures très favorables aux salariés. La reprise du travail n’est pas immédiate mais le mouvement social s’étiole lui aussi dans les semaines suivantes.

Enfin, les deux hommes divergent sur la sortie de crise politique. De Gaulle prône un référendum sur la participation qui lui permettrait de relégitimer son pouvoir par l’onction du suffrage universel. Le Premier ministre propose et impose la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue d’élections législatives en juin. Celles-ci se concluent par un triomphe du parti gaulliste. Georges Pompidou apparaît ainsi comme le grand vainqueur de Mai 68, celui qui a définitivement établi sa stature d’homme d’État et de successeur potentiel du Général, au grand dam de celui-ci.

À lire :

Éric ROUSSEL, Georges Pompidou, Paris, Perrin, colle. « Tempus », 2024.

Frédéric TURPIN, Gilles LE BÉGUEC (dir.), Georges Pompidou, directeur de cabinet du général de Gaulle. Juin 1958-janvier 1959, Berne, PIE-Peter Lang, 2006.

Sabrina TRICAUD, Bernard LACHAISE (dir.), Georges Pompidou et Mai 68, Berne, PIE-Peter Lang, 2009.

 

Crédits images :

Le socialisme – Affiche moyen format “Non à la guerre d’Algérie” © Bibliothèque numérique de Roubaix

Print Friendly, PDF & Email
Retour en haut