Fondation du Club alpin français

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Par Olivier Hoibian, historien et sociologue émérite (Laboratoire FRAMESPA, Université Jean Jaurès – Toulouse II), président du Comité Scientifique de la FFCAM


Si la première ascension du Mont Blanc en 1786 est généralement considérée comme l’acte de naissance de l’alpinisme, dès le milieu du XIXe siècle, les adeptes des ascensions en montagne commencent à ressentir le besoin de coordonner leurs actions pour négocier de meilleures conditions pour leurs séjours dans les vallées des Alpes et des Pyrénées. Inauguré par la création de l’Alpine Club, « le temps des clubs » préside, en quelques années, à la fondation d’associations d’alpinistes dans la plupart des pays d’Europe Occidentale puis d’Amérique du Nord entre 1857 et 1906.

Le Club alpin français : une identité plurielle

Dans ce vaste mouvement, le Club alpin français voit le jour le 2 avril 1874 à Paris, au lendemain de la défaite de la France face à la Prusse, ressentie alors comme le signe du déclin du pays et de la faillite de la formation des élites. Les statuts stipulent que le club se fixe pour but « de faciliter et de propager la connaissance exacte des montagnes de la France et des pays limitrophes » et qu’il se montre favorable à la présence des femmes. Ses fondateurs décident également de participer « au redressement de la France et à la régénérescence physique et morale de sa jeunesse ». Les premières « caravanes scolaires » lancées par le CAF sont destinées aux lycéens et aux collégiens considérés comme les futures élites de la nation, et sont organisées selon un programme d’éducation globale très novateur pour l’époque.

Longtemps, le Club attire en priorité les représentants de la bourgeoisie, les seuls à disposer du temps libre et des moyens financiers pour profiter de séjours à la montagne. Ces « excursionnistes cultivés » construisent des sentiers et des refuges, encouragent les compagnies de guides, favorisent l’amélioration du confort des auberges, rédigent des notices scientifiques, inventent une littérature de récits de courses. Chemin faisant, ils définissent de nouveaux usages de la montagne et contribuent à la promotion d’un tourisme alpin, cultivé et mondain, auprès de leurs contemporains. Cette « bourgeoisie cultivée » va faire du CAF l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics pour toutes les questions concernant la montagne avec l’obtention du statut d’utilité publique dès 1882. L’identité du Club présente alors une certaine ambivalence entre un positionnement en tant que société savante, association touristique, instance de célébration de l’esprit d’aventure ou cercle mondain. Son image d’association bourgeoise va perdurer au moins jusqu’aux années 1960 avant que les loisirs et les vacances en montagne ne se diffusent auprès d’un public plus ouvert socialement.

De « l’excursionnisme cultivé » à l’alpinisme sportif

L’alpinisme, puis le ski à partir du début du XXe siècle, resteront durablement les deux activités privilégiées au sein du club avec une valorisation des ascensions de difficulté modérée, réalisées sous la conduite de guides brevetés. Dans l’entre-deux guerres, avec la rationalisation des techniques et du matériel mais aussi l’émergence d’orientations plus sportives, tournées pour le ski vers l’organisation de compétitions officielles comme les premiers Jeux Olympiques d’hiver de 1924, des débats éthiques parfois vifs vont diviser les adhérents autour de la définition légitime de ces pratiques. Le « Groupe de Haute Montagne », créé en 1919 sur le modèle des « Clubs académiques » étrangers, pour regrouper l’élite des alpinistes du moment et encourager les ascensions les plus difficiles, sera ainsi exclu du CAF au début des années 1930. Cependant, après la deuxième guerre mondiale, le mouvement en faveur d’une sportivisation relative des ascensions va s’imposer à l’ensemble des pratiquants pour devenir « l’alpinisme classique ». Cette conception sera confortée par le retentissement mondial du succès de l’expédition française à l’Annapurna en 1950 et par les exploits des cordées célèbres des « trente glorieuses ».

Le Club alpin français face aux défis du XXIe siècle

Durant les décennies suivantes, le CAF a dû s’adapter aux profondes mutations des modes de vie caractérisées notamment par l’essor du nombre des pratiquants, par la diversification des activités de loisir en montagne (escalade libre, parapente, snowboard, spéléologie, canyon, trail, marche nordique, etc.) mais aussi par le développement des compétitions d’escalade sur structure artificielle ou du ski-alpinisme, et plus récemment des cascades de glace dont il vient d’obtenir la délégation par l’État. L’arrivée de nouveaux publics et le renouvellement des générations vont inciter le CAF à s’impliquer dans la formation des jeunes, à créer les groupes d’excellence tout en organisant de grands rassemblements de découverte des pratiques de montagne. Les évolutions ont également été remarquables sur le plan institutionnel, marquées par les rivalités avec la Fédération de la Montagne et de l’Escalade créée en 1987, l’adoption par le CAF du statut de Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne en 2005, mais aussi par l’inscription de l’alpinisme au patrimoine culturel immatériel de l’Humanité décernée par l’UNESCO en 2019.

En ce début de XXIe siècle, les défis à relever sont majeurs pour la FFCAM du fait des enjeux du changement climatique qui place les montagnes en première ligne face à l’accélération du réchauffement des températures, plus rapide qu’en plaine, accentuant la fonte des glaciers. Riche de plus de 110.000 adhérents en 2024, la fédération devra mobiliser ses ressources humaines et financières pour concrétiser son ambition, toujours d’actualité, de « rendre la montagne accessible à tous ». Il lui faudra aussi adapter son patrimoine bâti de plus de 120 refuges aux exigences de la sobriété par la limitation de leur impact carbone et l’amélioration de la préservation de l’environnement.

À lire :

Sur l’histoire du CAF et de l’alpinisme :

Olivier HOIBIAN, Les alpinistes en France, 1870-1960, Une histoire culturelle, Paris, L’Harmattan, 2000 (Grand Prix du livre de montagne de Passy en 2001)

Olivier HOIBIAN, (Dir.,) L’invention de l’alpinisme, La montagne et l’affirmation de la bourgeoisie cultivée, 1786-1914, Paris, Belin, coll. « Histoire et société », préface de G. Vigarello, 2008

Olivier HOIBIAN, (Dir.), La montagne pour tous. La genèse d’une ambition dans l’Europe du XXe siècle, Toulouse, Éditions Le Pas d’Oiseau, 2020

Sur le philosophie de l’alpinisme :

Pierre-Henry FRANGNE, De l’alpinisme, Rennes, PUR, 2019

Sur la sociologie des cordées d’excellence en alpinisme :

Delphine MORALDO, L’esprit de l’alpinisme. Une sociologie de l’excellence, du XIXe siècle au XXIe siècle, Lyon, ENS Éditions, 2021

Crédits images :

Page d’accueil :

Bannière : Paul Helbronner, Annexes des Tomes II et X de la Description géométrique détaillée des Alpes françaises (12 volumes), Les panoramas du massif du Mont Blanc, Éditions Gauthier-Villars, 1910 -1939 © Gallica/BnF

Chapô : Eugène Trutat, Membres du Club Alpin posant sur le sommet du Canigou, 1899 © Wikimedia Commons

Page actuelle : Ludovic Gaurier, Refuge du Club alpin français dans les Pyrénées, début du XXe siècle © Wikimedia Commons

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