Fondation de l’École nationale des chartes

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Par Caroline Garde-Lebreton, agrégée de lettres modernes, chargée de mission à France Mémoire


L’École nationale des chartes est une école publique d’enseignement supérieure qui forme des archivistes paléographes. Ces professionnels du patrimoine ont pour mission première de déchiffrer les écritures anciennes, et de collecter, classer, mettre à la disposition du public des documents susceptibles de servir de sources à la connaissance historique. Chaque année, l’école recrute sur concours une vingtaine d’étudiants qui bénéficient du statut d’élèves-fonctionnaires. Au terme de quatre années d’études, l’obtention du diplôme spécifique d’archiviste paléographe est soumis à la soutenance d’une thèse d’histoire. Après avoir été domiciliée pendant plus d’un siècle au 19, rue de la Sorbonne, l’École des chartes a emménagé en 2014 au 65, rue de Richelieu. Depuis 2016, la bibliothèque de l’école est installée tout près, dans le quadrilatère Richelieu.

La nécessité de se saisir de l’histoire

Destinée à l’origine à former des médiévistes, l’École des chartes est aussi profondément liée au cours de l’histoire. Depuis sa création en 1821, elle a dû régulièrement repenser son fonctionnement et réaménager ses enseignements. Trente ans avant sa fondation, les confiscations opérées pendant la Révolution française ont entraîné l’accumulation d’une énorme quantité de documents dans les Archives du royaume, en même temps qu’elle a fait disparaître le Cabinet des chartes où depuis 1759, des laïcs et des moines bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur s’occupaient de collecter, de copier et de classer des chartes médiévales. C’est donc pour prolonger le travail des mauristes que l’École des chartes a été conçue. Lors de sa création, une douzaine d’élèves sont nommés par le ministre de l’Intérieur, sur une liste proposée par l’Académie des Inscriptions et belles-lettres. Pendant deux ans, ils se partagent entre les Archives et la Bibliothèque royale, où sont conservés les documents qui constituent le matériau-même de leur enseignement. En définitive, aucun d’entre eux ne sera recruté par l’Académie.

L’École a donc manqué son objectif premier : fournir des auxiliaires de sciences à l’Académie des Inscriptions et belles-lettres. Faute d’élèves, l’École des chartes reste en sommeil jusqu’en 1829, date à laquelle une ordonnance de Charles X redéfinit la scolarité. Mais dès 1830, les nouveaux élèves dénoncent dans une pétition un enseignement étroit faisant d’eux de « simples commis aux écritures ». L’ouverture viendra du ministre de l’Instruction publique François Guizot : en 1832, il entreprend de faire publier les « Documents inédits de l’histoire de France ». Pour accomplir cette tâche, il s’appuie largement sur les chartistes, leur donnant enfin l’occasion de satisfaire leurs ambitions : faire de l’histoire en s’appuyant sur une approche rigoureuse et scientifique des sources. Fondée en 1839, la Société savante de l’École des chartes témoigne de la conscience qui se crée à l’époque autour de ce que l’on appellera plus tard « la méthode chartiste ».

Une mission à constamment renouveler : conserver, archiver, documenter avec son temps

Ainsi, dix ans après sa création, l’École des chartes joue enfin pleinement son rôle. En 1846, une nouvelle ordonnance double son budget et lui alloue de nouveaux locaux dans le palais des Archives : elle y restera jusqu’en 1897, avant de déménager rue de la Sorbonne. L’école commence à se doter d’une collection de fac-similés. Aux trois disciplines fondatrices que sont la paléographie, la diplomatique et la philologie, viennent s’ajouter des cours d’ « archéologie figurée », d’ « histoire générale », de linguistique, de géographie, et d’initiation au droit canonique et féodal. Les élèves sont sélectionnés par un examen d’entrée et, innovation majeure, termine leur scolarité par la soutenance d’une thèse.

À partir de 1870, les chartistes occupent une place grandissante dans les archives, les bibliothèques, mais également les musées et les monuments nationaux. Lors des grands conflits mondiaux et dans les territoires coloniaux, ils ont pour tâche de préserver le patrimoine qui leur est confié, mais également de collecter les sources des historiens de demain : que l’on pense à l’importance des documents qui durent être rassemblés en 1945, au lendemain de la libération, dans les administrations nazies et les bureaux du régime de Vichy, ou au rôle de transmission qu’ils eurent à remplir au moment de l’indépendance des colonies.

Tout en restant fidèle à sa première vocation et aux disciplines fondées par le moine bénédictin mauriste Jean Mabillon dans le De Re Diplomatica, l’école doit régulièrement s’adapter aux réalités des débouchés professionnels et à l’évolution des sources. C’est ainsi que des cours de bibliothéconomie et d’archivéconomie se sont progressivement imposés, tandis que l’histoire moderne et contemporaine a été revalorisée dans les programmes. Les nouvelles technologies offrent aujourd’hui de nouvelles possibilités d’archivage et de nouveaux terrains d’étude, mais la fragilité des supports numériques en font aussi un défi majeur lancé aux « cyberarchivistes paléographes » de demain.

 

À lire :

L’École nationale des chartes, Deux cents ans au service de l’histoire, de Jean-Charles Bédague, Michelle Bubenicek et Olivier Poncet, Paris, Gallimard / École nationale des chartes, 2020

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