Fondation de la Compagnie des sept troubadours de Toulouse

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Par Philippe Dazet-Brun, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Jeux floraux


Le 2 novembre 1323, sept amateurs de poésie, ayant l’habitude de se réunir dans les faubourgs de Toulouse, eurent l’idée de convier tous les poètes de langue d’oc le 3 mai de l’année suivante à des joutes oratoires. Ces jeux furent un tel succès qu’on les reprit l’année qui suivit, et les autres encore… Ainsi s’inscrivit dans le temps les cérémonies du 3 mai dites, à Toulouse, « Fêtes des Fleurs ».

Des joutes oratoires pour faire rayonner la langue d’oc

Elles furent l’occasion de festivités qui duraient trois jours (le premier pour les concours, le suivant pour les délibérations, le dernier pour la proclamation du palmarès et les réjouissances), organisées par les capitouls, magistrats de la cité.

Les sept eurent des successeurs qu’on nomma mainteneurs puisqu’il leur revenait de pérenniser la tradition des Jeux floraux. À cette fin, au milieu du XIVe siècle, Guillaume Molinier codifia la rhétorique et l’art poétique. Ces règles devaient, en particulier, éclairer le jugement des mainteneurs dans l’attribution des prix du 3 mai : ce furent Las leys d’amor.

Les sept mainteneurs, qui constituaient alors le Consistoire du Gai Saber (c’est-à-dire de la poésie), décernaient des Fleurs aux lauréats (le premier fut Arnaud Vidal, de Castelnaudary et reçut une violette d’or) et délivraient des diplômes à l’instar de l’université. Les poètes primés trois fois pouvaient ainsi devenir maîtres ès Jeux floraux. Par eux – mainteneurs, maîtres ès Jeux et poètes –, la langue d’oc vivait à Toulouse et au-delà : la réputation de la Compagnie et de ses Jeux était telle qu’en 1388, le roi Jean d’Aragon voulut installer en Catalogne un Consistoire identique à celui de Toulouse. Il reste de cette initiative la survivance des Jocs Florals de Barcelone.

C’est au milieu du XVIe siècle que l’on voit apparaître une figure liée aux Jeux floraux : Clémence Isaure. Plusieurs textes attestent qu’à la fin du XIVe siècle elle aurait doté les prix alors que les fonds du Capitole étaient momentanément défaillants. Clémence fut alors reconnue « fondatrice de la Gaie Science ». Un éloge lui est rendu chaque 3 mai, depuis le XVIIe siècle. Mais au moment où apparut dame Clémence, on assista aussi à l’éclipse de la langue d’oc. Le français s’imposa, et le Consistoire de la Gaie science se transforma en Collège de rhétorique qui récompensa Baïf et Ronsard.

L’Académie des Jeux floraux : la permanence d’une tradition

À la fin du XVIIe siècle, la Fête des Fleurs était plus prétexte à ripailles qu’à une célébration de la poésie. La Cour en fut avertie ; le 26 septembre 1694, par Lettres patentes, Louis XIV érigea le Corps des Jeux floraux en Académie. Ces statuts règlementèrent le fonctionnement de la Compagnie sans toutefois empêcher des évolutions. Ainsi de sept on porta le nombre de mainteneurs à 36, puis à 40.  De même, le bouquet des Fleurs récompensant les poètes fut étoffé : à la violette, à l’églantine, au souci et à l’œillet créés au Moyen Age, on ajouta la primevère, le narcisse, le liseron… et le lis que Victor Hugo reçut en 1819. Le coquelicot, créé en 2018, n’est destiné qu’aux personnalités qui viennent visiter l’Académie en l’hôtel d’Assézat où elle siège depuis la fin du XIXe siècle. C’est à ce même moment qu’elle couronna à nouveau des poèmes en langue d’oc sous l’influence conjuguée de Frédéric Mistral, devenu maître es Jeux, et Jean Jaurès qui rappela à ses collègues du Conseil municipal de Toulouse tout l’héritage linguistique occitan que l’Académie des Jeux floraux représentait.

Les Jeux floraux jouissent aujourd’hui d’une belle renommée en France et dans le monde. Des concours de poésie, dits « Jeux floraux », sont organisés à Perpignan, en Ariège, en Béarn, à Orange, en Touraine, en Picardie, en Poitou, etc.. On en vit même naître au Canada à la fin des années 1970 !

Ainsi rayonnent les Jeux floraux inscrits depuis décembre 2022 à l’inventaire national du Patrimoine culturel immatériel.

Crédits photos : 

Illustration de la page d’accueil : Détail d’une page manuscrite d’un chansonnier provençal du XIIIe siècle avec une enluminure représentant le troubadour Peire Brémont lo Tort © Gallica/BnF

Illustration du chapô : Dame Clémence Isaure par Jules Joseph Lefebvre (1836-1911), huile sur toile, Collection privée Fred and Sherry Ross. © WikiCommons

Illustration de l’article : Salle des illustres au Capitole de Toulouse, ville de Toulouse, région Midi-Pyrénées (France) : Jeux Floraux, Jean-Paul Laurens (1838-1921). © WikiCommons

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