Exil du Parlement de Paris

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Par Yves Bruley, Maître de conférences h.d.r. à l’École Pratique des Hautes Études


Dans la nuit du 19 au 20 janvier 1771, le roi Louis XV fit arrêter et exiler par lettres de cachet les membres du Parlement de Paris qui étaient en conflit ouvert avec la monarchie. Un arrêt du conseil, en date du 20 janvier, officialisa cette décision spectaculaire, l’un des points culminants d’une crise qui devait marquer la fin du règne de Louis XV et plus largement la fin de l’Ancien Régime.
L’exil comme paroxysme des tensions
Les parlements de l’ancienne monarchie ne sont aucunement des assemblées représentatives, mais des cours supérieures de justice. Elles rendent la justice au nom du roi de France. À ce titre, elles ont charge d’enregistrer les actes législatifs des monarques en vérifiant leur conformité. Le Parlement de Paris, héritier de la Curia regis médiévale, a été formé au XIVe siècle. Dans la France du XVIIIe siècle, le ressort de sa juridiction couvre plus du tiers de la superficie du royaume. Les provinces devenues françaises depuis la fin du Moyen Âge, qui avaient aussi leurs parlements, les ont conservés jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.

Les relations entre les magistrats et la monarchie ont constamment été tendues. Affaiblis sous Louis XIV, les parlements se renforcent sous Louis XV et se donnent un rôle de contre-pouvoir face à l’absolutisme. Mais il ne faut pas s’y méprendre : loin d’être réformateurs, les Parlements font au contraire obstacle aux projets de réformes royales et défendent d’abord leurs intérêts.

Le cœur du problème : une réforme de la justice

La crise devient tumultueuse après la réforme du système judiciaire menée par René Charles de Maupeou (1714-1792), garde des sceaux et chancelier (1868), principal ministre de Louis XV après l’exil de Choiseul (1770).
Les historiens s’accordent pour souligner le caractère moderne de sa réorganisation de la justice – suppression de certains des multiples tribunaux de l’Ancien Régime, gratuité de la justice, nomination des magistrats. Mais la réforme fut vivement rejetée par les magistrats qui refusèrent d’enregistrer l’édit. Le roi réagit par cette arrestation des membres du Parlement de Paris et leur exil en province ; leurs charges furent confisquées puis rachetées par l’État (avril 1771), tandis que le Parlement de Paris fut divisé en six circonscriptions plus réduites (édit du 23 février 1771). La vénalité des charges (la possibilité de transmettre ou de vendre les charges de magistrats) fut abolie, les magistrats étant désormais nommés par le roi, inamovibles et rétribués par l’État.
Voltaire estimait que l’édit était « rempli de réformes utiles : […] détruire la vénalité des charges, rendre la justice gratuite, empêcher les plaideurs de venir à Paris des extrémités du royaume pour s’y ruiner, charger le roi de payer les frais de justices seigneuriales, ne sont-ce pas là de grands services rendus à la nation ? »

Un prétexte à la future Révolution

Mais cet acte d’autorité de la monarchie souleva l’indignation d’une grande partie de l’opinion publique. Tocqueville analysera ainsi l’épisode : « Lorsqu’en 1771 les parlements sont détruits, le même public qui avait eu si souvent à souffrir de leurs préjugés, s’émeut profondément en voyant leur chute. Il semblait qu’avec eux tombât la dernière barrière qui pouvait contenir encore l’arbitraire royal. […] Les Français ne se bornait plus à désirer que leurs affaires fussent mieux faites ; ils commençaient à vouloir les faire eux-mêmes, et il était visible que la grande Révolution que tout préparait allait avoir lieu, non seulement avec l’assentiment du peuple, mais par ses mains. »
En 1774, le nouveau roi Louis XVI disgracia Maupeou et annula sa réforme, dans l’espoir de devenir populaire. Maupeou aurait dit alors : « J’avais fait gagner au roi un procès qui durait depuis trois siècles. S’il veut le perdre encore, il est bien le maître. »

 

Bibliographie :

Jean-Luc A. Chartier, Justice, une réforme manquée. Le chancelier Maupeou, Fayard, 2009.

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