« Dumas n’a jamais abandonné le théâtre ! »

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Entretien écrit avec Sylvain Ledda, professeur de littérature française à l’université de Rouen, spécialiste du romantisme.

Une émission de Canal Académies

Alexandre Dumas conquiert la célébrité sur les planches. Dès 1829, ses pièces contribuent à l’émergence d’un théâtre nouveau, dans l’élan du mouvement romantique. Cette passion l’habitera toute sa vie.

Comment Alexandre Dumas est-il devenu dramaturge ?

 

Il faut le replacer dans son contexte. Alexandre Dumas est né en 1802, comme Victor Hugo. Pour un jeune écrivain de sa génération, le théâtre est le genre qui permet d’accéder à la gloire. C’est l’équivalent du cinéma ou des séries d’aujourd’hui. Il permet de toucher un très large public. Au début des années 1820, Alexandre Dumas arrive de sa petite ville, Villers-Cotterêts, pour chercher fortune à Paris. Il écrit deux vaudevilles avec un ami, Adolphe de Leuven : La Chasse et l’Amour, jouée en 1825, puis La Noce et l’Enterrement, représentée en 1826. C’est une première expérience. Le jeune homme occupe un poste d’employé de bureau mais nourrit d’autres ambitions. Il commence à se cultiver, à dévorer les livres, à voir des spectacles… En 1827, des comédiens anglais viennent jouer Shakespeare dans le texte à Paris. C’est un choc esthétique, une révélation.

Que se passe-t-il ?

 

Dumas fait ses débuts à un moment où le théâtre est en pleine ébullition ! Dans les années 1820, on joue surtout des tragédies néo-classiques et des comédies en vers. La nouvelle génération vient bouleverser les codes. Elle veut montrer les passions sur la scène, renouveler le langage, se libérer de la contrainte des unités de lieu, de temps et de bienséances, proposer au public un spectacle dynamique qui emprunte à plusieurs genres : tragédie, comédie, mélodrame, musique… C’est une manière de rebattre les cartes et d’instaurer dans un registre sérieux des éléments ludiques, ironiques, humoristiques qui questionnent la gravité du propos. L’influence de la littérature étrangère joue un rôle important dans ce renouvellement. Ce théâtre fait aussi écho aux bouleversements de la société française. Il veut offrir une réflexion sur l’histoire pour lui donner du sens après les épisodes de la Révolution et de la Terreur qui ont renversé un système pluriséculaire. En 1827, Victor Hugo publie la préface de Cromwell dans laquelle il théorise la poétique qui nourrira ses œuvres futures. Dumas baigne dans cette ambiance. Il écrit une première pièce historique en vers, Christine, mais la création de la pièce est reportée. C’est finalement avec un drame historique en prose, Henri III et sa cour, jouée à la Comédie française en février 1829, qu’il entre véritablement dans le paysage théâtral. Cette pièce rencontre un immense succès…

Pourquoi le public est-il séduit ?

 

L’intrigue part d’un substrat historique que Dumas enjolive, sublime, dramatise. On y trouve déjà le sens des rebondissements et des situations extraordinaires qui feront le succès de ses romans ! Je pense à la scène où le duc de Guise saisit le poignet de sa femme qui le trompe avec un gantelet de fer. Ce geste est d’une violence incroyable… Au dénouement, Guise fait achever l’amant de son épouse, Saint-Mégrin, d’une manière vraiment cruelle : il ordonne à ses gens de l’étrangler avec le mouchoir de la duchesse, pour que « la mort lui soit plus douce ». Ces inventions sidèrent le public. Et elles fonctionnent ! Henri III est aussi une pièce politique, qui questionne l’exercice du pouvoir royal. La pièce met en scène le dernier des Valois qu’elle présente comme un personnage superstitieux entouré de ses mignons. Nous sommes un an avant la Révolution de Juillet. Cette dimension politique restera présente dans tout le théâtre de Dumas.

Que représente le théâtre dans son œuvre ?

 

Dumas n’a jamais arrêté d’écrire des pièces, ni d’être joué. Ses contemporains le considèrent d’abord comme un dramaturge. Quand vient le temps des romans, publiés en feuilletons, il les transforme en spectacles. Ainsi, en 1847, Dumas inaugure son Théâtre-historique avec une représentation fleuve de La Reine Margot, adaptée pour cette occasion. Le théâtre le hante ! Je crois qu’il imagine toujours ce qu’un texte narratif peut donner à la scène. On le perçoit dans son écriture romanesque. Il plante le décor, soigne les dialogues, donne une place aux costumes et aux accessoires… Je pense que c’est pour cette raison qu’il reste aussi l’écrivain français le plus adapté au cinéma.

 

Ecouter deux monologues lus par Sylvain Ledda

 

Antony sur la souffrance, Kean sur le théâtre

 

 

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